Les Loges d'Adoption

 

La présente page n'a pas pour but de présenter les Loges d'Adoption - sujet qui a fait l'objet de nombreuses études plus qualifiées - mais simplement d'introduire la question de leur place dans le chansonnier maçonnique.

Dans franc-maçon, il y a franc qui veut dire libre, et maçon qui fait référence à la symétrie symbolique entre la construction opérative des anciens bâtisseurs d'une part et, d'autre part, et la construction dialectique de soi-même et de la Société qui caractérise la maçonnerie spéculative.

Vue sous cet angle, la question de savoir si la maçonnerie "féminine" (connue sous le nom de maçonnerie d'Adoption) qui, en Europe continentale, fit fureur au XVIIIe dans la bonne société, constitue bien une branche de la Franc-maçonnerie, trouve une réponse simple : les Loges d'Adoption, étant soumises à l'autorité de tutelle d'une Loge masculine, et utilisant des rituels n'ayant rien à voir avec le symbolisme de la construction, ne sont de ce fait ni libres ni maçonniques, et elles ne répondent dès lors aucunement à la définition de la franc-maçonnerie.

Les tabliers d'adoption représentés ci-dessous illustrent bien cette absence de référence au symbolisme de la construction.

On lit d'ailleurs dans un texte de 1763 que les grades des femmes sont extraits de la Genèse, les symboles et les figures sont l'emblème des vertus de leur sexe et la loge représente, aux réceptions, le jardin d'Eden.

Le Grand Orient de France avait d'ailleurs expressément stipulé en 1774 que les décorations de ces Loges aussy que celles des frères ne devoient avoir aucune relation avec celles de nos mystères (source : Jan Snoek, Le rite d'adoption et l'initiation des femmes en franc-maçonnerie, des Lumières à nos jours, pp. 180-1).

D'ailleurs, comme on le lira ici en 1807, La Maçonnerie des Dames, appelée Maçonnerie d'Adoption, tire son nom de ce que les Maçons adoptent dans leurs travaux particuliers, à ces grades, des Dames auxquelles ils donnent connaissance des mystères qui font la base de cette Maçonnerie, qui est toute particulière, et n'a pas de rapport à la Franche-Maçonnerie des hommes ; mais qui a un but et des principes moraux qui ne tendent qu'à l'épurement des moeurs et du sentiment.

Il est dès lors possible de considérer les Loges d'Adoption au mieux comme constituant une société para-maçonnique, une sorte d'amicale (cependant ritualisée) des épouses et parentes de maçons (car là s'en limitait en général le recrutement), baptisées Soeurs ou maçonnes pour l'occasion, un simple jeu de société ou, selon le mot de Roger Dachez dans Histoire de la FM française (Que sais-je, p. 106), une aimable parodie

Mais un jeu concernant surtout la haute société, comme on le voit si l'on examine la composition des Loges d'Adoption parisiennes les plus prestigieuses, telles La Candeur.

Les commentateurs (par exemple la baronne de Méré) les considèrent donc généralement comme futiles.

Dinaux écrit dans son livre Les sociétés badines, bachiques, littéraires et chantantes, leur histoire et leurs travaux (p. 143) :

Les loges d'adoption, où les femmes étaient admises, ont donné naissance à une brochure singulière intitulée : Polichinel bourgeois de Paris, au grand Orient de France, ou extrait de la planche à tracer du final maçonnique, l'an de la lumière véritable 5784, le 3 du neuvième mois. Recueilli par l'orateur de la loge de Rotterdam, le 15 septembre 1786, in-8, de 23 pp. C'est une ironie sur les épreuves qu'on fait subir aux dames, et sur l'initiation illusoire qu'elles obtiennent. D'après Polichinel, les femmes n'apprennent rien de sérieux par leur admission, on se moque d'elles, et lui-même badine tous les amis de la lumière. 

Il n'en existe pas moins quelques exemples contraires, et Jan Snoek, dans l'ouvrage précité, s'extasie sur le riche contenu initiatique qu'il décèle dans certains Rituels d'Adoption. On lira aussi avec intérêt le remarquable article de Francesca Vigni, Les aspirations féministes dans les loges d'adoption, paru en 1987 dans le n° spécial La franc-maçonnerie de la revue Dix-huitième Siècle.

 

Très prospères au XVIIIe, les Loges d'Adoption furent encore très actives sous l’Empire. La tradition rapporte que Joséphine de Beauharnais en fut la Grande Maîtresse. D'innombrables chansons leur furent consacrées sous l'Empire. Talleyrand a ironisé sur le caractère élitiste que certaines de ces Loges tentèrent alors de maintenir.

Mais elles commencèrent à décliner pendant la Restauration pour s'éteindre progressivement par la suite et quasiment disparaître : l’esprit bourgeoisement patriarcal marquant la société du XIXe ne pouvait manquer de se reproduire dans la société maçonnique, puisque celle-ci n’est jamais que le reflet de celle où elle recrute. 

En France au XIXe

Contrairement à ce qu'on lit parfois dans la littérature maçonnique, les Loges d'Adoption ne disparurent cependant pas complètement au XIXe.

La Loge de La Clémente Amitié en particulier s'est distinguée par diverses manifestations, sous la Restauration et plus tard. 

Le 29 janvier 1819, l'Ordre de Misraïm a célébré, avec une imposante et admirable solennité, sa Fête d'Ordre en Grande Loge d'Adoption, comme le relate en 1845 Marc Bédarride (T. 2, p. 222) dans De l'ordre maçonnique de Misraïm : depuis sa création jusqu'à nos jours.

C'est en 1819 également que la fondation de la Loge Belle et Bonne donna lieu à un grand événement mondain.

Pour la suite, Bègue-Clavel écrit (p. 120) dans son Almanach pittoresque de la Franc-Maçonnerie, pour l'année 5846, sous le titre les Loges d'Adoption :

Les fêtes maçonniques dans lesquelles on admet les femmes se présentent rarement, et cela se conçoit : elles entraînent à de grandes dépenses. L'article le plus élevé des frais est le coût du banquet ; on pourrait le supprimer. Les réunions auraient lieu le soir, après dîner. On aurait une séance où on lirait des discours ... courts, où l'on réciterait des vers, où l'on exécuterait des morceaux de chant, où l'on ferait de la musique. Après une suspension de quelque durée, pendant laquelle on causerait, le bal s'ouvrirait et se prolongerait jusqu'à une heure raisonnable. Ces assemblées offriraient de nombreux avantages : elles resserreraient les liens qui unissent les membres d'une même loge, à Paris et dans les grandes villes surtout, réconcilieraient les femmes avec la maçonnerie, qu'elles n'ont guère sujet d'aimer, au contraire, et tendraient à augmenter les ressources de notre bienfaisance. Les femmes se transformeraient facilement en sœurs de charité ; elles organiseraient des loteries, elles en fourniraient les lots, elles en distribueraient le produit. Elles s'y entendent mieux que nous. Nous soumettons cette idée aux loges. Qu'elles y pensent sérieusement. Une pareille innovation aurait des conséquences plus importantes qu'il ne paraît au premier coup d'oeil.

En 1855, César Moreau, dans son Précis sur la Franc-Maçonnerie, son origine, son histoire, ses doctrines, fait grand cas d'une réunion d'adoption en 1854 à la loge de la Jérusalem des Vallées égyptiennes, au cours de laquelle son épouse Mme Moreau fut faite par Boubée grande-maîtresse de la Maçonnerie d'Adoption.

Plus tard encore, on lit par exemple ceci au d'août 1860 de la revue L'initiation ancienne et moderne :

La loge d'Osiris, vénérable le cher frère Delongray, a ouvert les cérémonies du solstice par une brillante fête donnée à l'Elysée-Ménilmontant. Après l'agape maçonnique, la loge des Soeurs a été ouverte pour donner l'initiation à une jeune néophyte, mademoiselle ***, qui a inspiré le plus vif intérêt. Le frère Delongray a réalisé dans cette cérémonie un symbolisme ingénieux et démonstratif ; il l'a accompagné des instructions les plus élevées et les plus pratiques. La Grande Maîtresse a lu ensuite un très-bon discours. Puis le cher frère Lelennier, orateur de la loge, a prononcé son allocution, après laquelle nous devons une mention toute particulière aux excellentes paroles de sa chère épouse, qui a parlé, à tous égards, en véritable soeur éloquente. Un bal brillant a terminé cette belle fête.

La loge d'adoption des soeurs du temple des Philanthropes réunis a aussi fait une tenue, que nous ne pouvons que mentionner n'y ayant pas assisté.

Mais les témoignages d'activité se feront de plus en plus rares. On notera par exemple une cérémonie d'Adoption à Paris en décembre 1860, ainsi qu'une Fête solsticiale et d'adoption célébrée le 1er février 1868 par les deux loges réunies les Coeurs unis et Jerusalem des vallées égyptiennes.

Mais en Espagne ...

Comme on peut le voir ici, l'Espagne manifesta au XIXe siècle une attitude nettement plus progressiste en matière d'accession des femmes à la maçonnerie.

Et en Italie ...

Chose beaucoup moins connue, le même esprit progressiste s'est également manifesté en Italie. On peut lire à l'article de René Le Moal, Garibaldi (1807-1882) et ses trois vies enchevêtrées, paru en 2008 dans le n° 44 de La chaîne d'union, que Garibaldi avait, le 15 mai 1864, recommandé à son obédience la création de loges féminines et signé en 1867, en tant que Souverain Grand Commandeur, des documents attestant de la validité de l’initiation ou du passage de grades de maçonnes.

Mais la naissance à la fin du XIXe, en réaction contre l'esprit patriarcal, d'une Obédience à la fois mixte et réellement maçonnique par ses symboles et rituels, ôtait aux Loges d'Adoption toute raison d'existence.

C'est cependant de la survivance, dans la première moitié du XXe siècle, de quelques Loges d'Adoption placées sous la tutelle de la Grande Loge de France qu'est issue, après la guerre 1940-45, la Grande Loge Féminine de France, qui a adopté (même si le Rituel d'Adoption est sauvegardé par l'une ou l'autre de ses Loges) des Rituels, eux, spécifiquement maçonniques et qui a essaimé dans de nombreux pays.

 

La genèse au XVIIIe

On aurait tort de croire que l'histoire de la Maçonnerie d'Adoption commence avec la décision du Grand Orient de France en 1774 de l'autoriser et l'organiser. Le Grand Orient ne fait en effet à ce moment qu'appliquer le principe bien connu ces événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs  

Comme l'écrit en effet André Doré dans son article la Maçonnerie des Dames publié dans le bulletin 96 du Grand Collège des Rites :

Les frères avaient donc condescendu à admettre la femme en maçonnerie : c'était une victoire, mais combien relative, car elle continua d'ignorer les symboles et leur contenu pratiqués dans les loges masculines, et elle n'apprit rien des vrais mystères, s'il y en avait, de l'institution. Le Grand Orient était formel à ce sujet. Dans une planche adressée le 20 juillet 1778 à la Loge « Les Amis Réunis » de Châteauroux, la Chambre d'Administration écrivait : «  ... Nous avons dû permettre les travaux d'adoption, mais en même temps les tenir à distance. Un titre, un tableau, un timbre même ne sont que des accessoires dont se sert la maçonnerie, mais qui n'en font point partie, qui ne sont pas « Elle ». Ce sont travaux intérieurs qu'il n'est point permis de confondre, ce sont nos mystères dont on ne doit jamais s'occuper en loge d'adoption ». Lettre confirmée neuf ans plus tard et de manière très explicite par celle envoyée à la Loge « Saint-Louis des Amis Réunis » à l'orient de Calais «  ... aussi nous les regardons moins comme des ateliers maçonniques que comme des assemblées de récréation qu'une loge se permet à la suite de travaux plus sérieux pour se délasser et se rapprocher des personnes qui lui sont chères... et que leur sexe éloigne de nos mystères... ».

Mais par là il ne fait rien d'autre qu'entériner un usage déjà très largement répandu.

Dès les débuts de la maçonnerie en France, il est en effet manifeste - on peut en voir des exemples ici ou ici - que des dames participeront à des réunions de maçons et y seront appelées Sœurs ou maçonnes, mais il peut ne s'agir que d'épouses de maçons invitées à des agapes non rituelles.

Dans son Manuel complet de la maçonnerie d'adoption, Ragon écrit d'ailleurs en 1860 (p. 94) :

Dès 1730, les loges françaises conçurent le dessein d'admettre les dames et les parentes de leurs frères à un ordre spécial de travaux maçonniques, et l'ADOPTlON fut créée ; elle se généralisa et eut des imitations d'un genre analogue, mais moins sérieux ; aussi ces dernières ont disparu, et la Maçonnerie adoptive subsiste. Les documents pour les travaux des premières années nous manquent. Les résultats de ces travaux n'étaient pas sans importance, puisqu'ils ont inspiré aux dames de la cour le désir d'avoir de telles fêtes, de là l'institution de la célèbre loge, la CANDEUR.

Note : ce chapitre donne par ailleurs de nombreux témoignages de la poursuite au XIXe d'activités dans les Loges d'Adoption.

Il est donc certain qu'assez rapidement se sont mises en place des Loges d'Adoption bien avant que la pratique en soit systématisée.

Il semble aussi que des Loges mixtes mais travaillant selon les rituels maçonniques aient existé. Mais elles ne pouvaient qu'être considérées comme irrégulières par les organisations, ce qui explique peut-être qu'elles aient laissé peu de traces. En voici cependant quelques-unes :

Quelques exemples

Dans son article Les manuscrits Giroust et les loges du Maine-et-Loire, au XVIIIe siècle paru dans le n° 63 des Chroniques d’Histoire Maçonnique  (pp. 17-28), Françoise MOREILLON écrit : On sait par les exemples connus de Marseille, Brioude ou la Rochelle que des femmes sont accueillies dans les loges maçonniques aux côtés des hommes aux environs de 1745 et elle étudie en détail un autre cas au début des années 1760 en Val d'Anjou, où fonctionne une loge maçonnique composée d'hommes et de femmes et dirigée par une femme.

L'ouvrage de Janet Burke & Margaret Jacob, Les premières francs-maçonnes au siècle des Lumières (Presses universitaires de Bordeaux, 2010) rappelle notamment le cas de la Loge de Juste (mixte) aux Pays-Bas en 1751, dont les rituels préféraient aux symboles bibliques l'utilisation du vocabulaire des bâtisseurs et où les soeurs pouvaient tenir des rôles d'officières. Malcolm Davies a également traité largement ce sujet dans son ouvrage The masonic muse. Songs, music and musicians associated with Dutch freemasonry: 1730-1806 ainsi que dans un article (en néerlandais) de la revue Thot. 

L'ouvrage d'André Kervella Réseaux maçonniques et mondains au siècle des Lumières (Véga 2008) évoque, dans son chapitre 8 intitulé Voix de femmes, quelques protectrices des Loges.

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Voici ce qu'écrit Marie-France Picart dans La grande loge féminine de France (Que sais-je ?) :

Des réceptions de femmes sont organisées bien avant que l’existence des loges d’adoption ne soit agréée et réglementée par le Grand Orient le 10 juin 1774. La lecture de divers rapports de police et de quelques correspondances montre que leur activité est bien développée tant à Paris qu’en province, et qu’elles fonctionnent la plupart du temps à leur guise. Des loges naissent dans le sillage de loges militaires ou dans des garnisons portuaires. On trouve trace de réception de femmes à Marseille en 1740 ainsi qu’à Brioude, en 1747, où la loge de Saint-Julien n’hésite pas à « s’enrichir de plusieurs nobles dames ». Ces réceptions peuvent rester galantes, nous dirions aujourd’hui mondaines, et se traduisent par un accueil au cours d’un banquet. Elles peuvent même glisser vers une certaine mixité, mais elles aboutissent à la seule constitution de loges féminines, aux côtés de loges masculines. Des documents de la loge La Française Élue Écossaise de Bordeaux, datés de 1744, attestent de l’existence d’une loge d’adoption, aux côtés de la loge masculine. Il est plus que probable aussi que des loges d’adoption se forment parfois sans attache masculine, pour preuve, la loge masculine La Candeur, créée après la loge féminine éponyme pour lui donner une régularité. 

Au XVIIIe en France, il se trouva en tout cas des maçons pour défendre vigoureusement l'idée de l’admission des femmes en loge à égalité avec les hommes. Beyerlé par exemple, en 1788, pose la question suivante dans un Appendice au T. 1 de son Essai sur la franc-maçonnerie :

Si le but de la Franc-Maçonnerie est véritablement de contribuer, autant qu'il est en elle, au plus grand bonheur des hommes, les femmes doivent travailler à cet oeuvre bienfaisant. Mais peuvent-elles, doivent-elles travailler avec les outils maçonniques ? Voilà la question que je me propose d'examiner.

et considère 4 cas :

  • ou la Franc-Maçonnerie n'est qu'une association de bienfaisance
  • ou la Franc-Maçonnerie est une école de vertu
  • ou la Franc-Maçonnerie, étendant la sphère de son but, est une association philosophique
  • ou enfin la Franc-Maçonnerie embrasse généralement toutes les connaissances divines & humaines

pour conclure que, dans chacun de ces cas, toute femme vertueuse a droit d'occuper la place que son génie & ses talents lui désignent dans la société maçonnique. Mais dans une maçonnerie moins frivole que celle d'Adoption, et d'où soient écartées toutes les têtes légères & folles, capricieuses & vaines - tant féminines que masculines - qui peuplent abusivement celle-ci.

On trouvera ici un plus large extrait de sa démonstration.

Dans le Tracé de la Fête d'Adoption du 22 décembre 1828 à la Clémente Amitié, on peut lire (p. 321 du tome 3), dans le discours du Vénérable, le Frère Juge :

Vous allez assister à des initiations aux degrés symboliques, non d'après les rituels de la Maçonnerie dite d'adoption, mais d'après celui de la Maçonnerie des hommes, quelque peu modifiée, ou, pour être plus vrai, peut-être appropriée à sa nouvelle destination. Ainsi que vous l'ont appris nos planches de convocation, le rituel observé sera grave et sévère, et raisonné de manière à donner une juste idée de la Franc-Maçonnerie, tant aux récipiendaires qu'à vous, bonnes soeurs, qui allez assister à notre fête de famille.

Juge explique ce choix dans un long discours sur l’Emancipation des femmes, considérée au point de vue de la Franc-Maçonnerie

Nous serions très curieux d'examiner ce rituel particulier, qui abandonne le rituel d'adoption traditionnel pour s'inspirer de celui de la Maçonnerie des hommes, mais nous n'en avons malheureusement pas trouvé trace.

Mais le fait qu'il soit imaginé d'après le rituel masculin ne nous semble aucunement garantir qu'il y ressemble, bien au contraire, puisque nous lisons que les récipendaires furent ce jour-là successivement proclamées apprenties, compagnonnes et enfin constituées maîtresses (dans le premier cas, après avoir passé les épreuves morales, consistant à répondre à des questions) et avoir été dispensées des épreuves physiques et, dans les deux derniers, seulement après quelques instructions).

... et même en Angleterre ...

Au cours du colloque Les femmes et la franc-maçonnerie, des Lumières à nos jours tenu en 2010 à l'Université Michel de Montaigne de Bordeaux, l'historien Andrew Pink a présenté une communication intitulée Robin Hood and 'her' Merry Women: a society of Freemasons in an early eighteenth-century London pleasure garden, dont le résumé peut se traduire comme suit :

En février 1739, le journal du Lancashire annonçait qu’une loge de «Maçons» venait de se constituer à Cold-Bath Fields ; leur nombre est déjà monté jusqu’à neuf cents membres et on y accueille les hommes aussi bien que les femmes qui sont appelées «Sœurs». La loge tient réunion tous les soirs, mais celle du dimanche est la plus importante. La loge est gouvernée par un Grand Maître et par un Surveillant. Cette loge apparaît comme l’une des premières manifestations de sociétés mixtes au dix-huitième siècle, et pourtant elle n’a pas retenu jusqu’ici l’attention des chercheurs ...

Il faut lire aussi l'étude de Róbert Péter, Women in Eighteenth-Century English Freemasonry: the First English Adoption Lodges and their Rituals, qui, en conclusion de recherhes récentes, donne de très intéressantes précisions quant à l'existence de loges d'adoption, et même de loges purement féminines, en Angleterre au XVIIIe. Sur ce sujet, voir notamment ici.

Mais en fait tout cela n'est souvent que conjectures, car le matériel documentaire est extrêmement réduit, et les historiens ne peuvent faire que des hypothèses. C'est ainsi par exemple qu'Yves Hiver-Messeca écrit qu'en 1744 la police fait une descente chez le traiteur Ozouf (24 mai), foire Saint-Laurent. La présence de femmes à la réunion laisserait supposer qu’il s’agit d’un simple banquet ou d’une réunion de l’Ordre de la Félicité, voire d’une forme de proto-adoption.

Mais le fait que dès 1757 (si la datation donnée par Fesch est exacte) ait été imprimé un Recueil de chansons pour la maçonnerie des hommes et des femmes confirme en tout cas bien que très tôt - qu'il s'agisse de prolégomènes des Loges d'Adoption ou d'autre chose - on a pris en considération la mixité en Loge.

Nombreux sont les recueils du XVIIIe - à commencer par celui de Naudot dès 1737, et ce sera encore le cas en 1779 chez Guillemain de Saint-Victor - qui font une large place à la présence des Soeurs, mais généralement sans préciser s'il s'agit d'initiées ou de parentes. Signalons aussi, en 1772, l'ouvrage La Maçonnerie des Dames qui contient quelques chansons et, en 1775, les quelques chansons de l'ouvrage L'adoption ou La maçonnerie des femmes.

Au début du XIXe, dans l'ambiance prioritairement festive de la maçonnerie impériale, d'innombrables chansons (pas toujours du meilleur goût) seront destinées, notamment par quelques amuseurs publics bien connus, aux Loges d'Adoption.

 

L'Adoption en chansons

Pour la plupart, les chansons destinées aux Loges d'Adoption sont l'oeuvre de Frères, témoignant d'un enthousiasme rarement dépourvu de paternalisme ou de machisme.

Elles sont trop nombreuses pour être recensées ici. Celle-ci, datant de 1780, est particulièrement représentative d'une ambiance très mondaine.

Signalons-en quelques autres, particulièrement typiques :

Bien dans l'esprit de galanterie propre à la maçonnerie française, on rencontre fréquemment au XVIIIe d'élégants marivaudages sur des thèmes mythologiques, tels ceux de l'Amour maçon, de la réception du dieu Eros ou de Vénus, de la Loge de Cythère, ...

Dans la maçonnerie impériale, ces évocations perdront souvent de leur grâce, pour devenir même parfois triviales.

Il était inévitable que la mixité entraîne contre la Maçonnerie d'Adoption soupçons, accusations et calomnies (on trouve toujours un bâton pour battre son chien : si les maçons restent entre hommes, on les soupçonne d'homosexualité ; sinon, on les accuse de débauche). Les chansons sont donc souvent consacrées à la défense et illustration de l'institution : et dans ce cadre, l'amitié est souvent évoquée comme un antidote aux pièges de l'amour.

 

Quelques images 

Tableau à la gouache (début XIXème siècle) : Cérémonie de réception d'une jeune femme dans une loge d'adoption sous le Premier Empire.

Contrairement à un argument souvent employé dans le passé pour justifier l'exclusion des femmes de la Franc-maçonnerie, le métier de maçon opératif n'était pas exclusivement masculin. Ci-dessous : LES MAÇONNES, illustration (1447) du Roman de Girart de Roussillon (Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek)

Ci-dessous : Tenue dans une Loge d'Adoption, représentée dans l'ouvrage de Kauffmann et Cherpin, Histoire philosophique de la Franc-Maçonnerie (Lyon, 1850)

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