Chanson sur l'Adoption

Fondée en 1771, la Loge dijonnaise de la Concorde regroupait notamment de nombreux magistrats. Le Frère Lansel y fut initié en 1775. De 1782 à 1789, son Vénérable fut le conseiller au Parlement Devoyo de Champrenault, dont il est question ici.

Elle avait une Loge d'Adoption, où l'on rencontrait les premières dames de la province, telles que la marquise de Vergennes, la comtesse de la Valette, l'épouse de Devoyo de Champrenault ou la présidente de Daix.

Voici l'un des couplets chantés dans cette Loge d'Adoption en 1782, où le Frère poète exprime galamment son mépris pour le temps révolu où les femmes étaient exclues des Loges :

Qu'ils étaient dupes nos aïeux !
Lorsque, pour chercher la lumière,
Ils avaient défendu par une loi sévère
De se servir de deux beaux yeux.     (bis)
Leur vertu n'était que rudesse ;
Et sourds, hélas ! à la voix du désir,
Ils croyaient trouver la sagesse     (bis)
Où n'était pas le plaisir.

Ce texte semble faire écho à un autre de la même époque :

O mes amis, mes frères,
A quoi donc pensiez-vous,
Lorsque des lois sévères
Ecartoient loin de nous
Ce sexe doux et tendre,
Du monde la moitié
La plus propre à se rendre
Aux cris de l'amitié ?

Un discours féministe avant la lettre

Cette Tenue est peut-être celle où, la même année, la présidente de Daix prononça son célèbre discours, reproduit (pp. 217-9) au n° 19 (consacré à la franc-maçonnerie) de la revue Dix-huitième Siècle (PUF, 1987) et dont nous extrayons le passage suivant :

Ô mes soeurs, jouissons d'un honneur qui venge notre sexe des injures multipliées qu'on lui a faites si longtemps. Applaudissons-nous d'avoir trouvé des hommes justes, qui au lieu de nous offrir cette condescendance, cette soumission apparente, gages trop certains de l'orgueil et de la supériorité, nous présentent une association, un partage, signes précieux de l'estime et de l'égalité. Justifions leur jugement, faisons voir que nous ne sommes pas condamnées aux seuls égards que la bonté accorde à la faiblesse, aux seuls hommages que la distraction prodigue à la frivolité, ou que la séduction prépare à la vanité. Montrons-nous supérieures à toutes ces petites rivalités qu'on nous a trop légèrement et trop généralement reprochées. Prouvons enfin que le charme de la concorde, que le lien de l'estime, que le sentiment céleste de l'amitié, que les soins touchants de la bienfaisance, que les travaux sévères de la raison, en un mot que jusqu'au mérite difficile de la discrétion, peuvent aussi devenir notre partage, et comme il n'est pas de sexe pour les âmes, il n'en est pas non plus pour les vertus.

Francesca Vigni, qui dans cette revue annexe ce texte à son article Les aspirations féministes dans les Loges d'Adoption en France, fait remarquer que

... si la légèreté et la superficialité furent des composantes indéniables de la maçonnerie d'adoption, ni l'engagement ni un certain idéal ne manquèrent de la caractériser. De fait, à côté d'un esprit de jeu, un désir profond d'émancipation extérieure et intérieure animait ce microscopique groupe de femmes, qui annonçaient des tendances propres aux mouvements féminins et féministes de l'époque à venir.

Dans l'ouvrage Les premières francs-maçonnes au siècle des Lumières (Presses universitaires de Bordeaux, 2010), Janet Burke écrit pour sa part (p. 25) :

... les Maçonnes étaient sensibilisées aux concepts de Liberté, d'Egalité et de Fraternité des Lumières et même à l'éclosion d'une forme de féminisme spécifique au XVIIIe siècle. On leur apprenait à comprendre leurs droits et à les revendiquer dans un monde dominé par les hommes ... bon nombre de ces femmes se signalaient par un très fort esprit d'indépendance, un engagement caritatif actif, un intérêt pour les idées nouvelles et une profonde loyauté envers leurs amies.

On lira aussi le très féministe discours de l'épouse de Cagliostro.

Notre source pour la chanson est l'Esquisse des travaux des loges françaises et d'adoption unies sous le titre de la Concorde à l'Orient de Dijon datée de 1782. Nous n'avons pas eu l'occasion de consulter ce document lui-même, mais en avons trouvé l'extrait que nous avons utilisé à l'ouvrage de Cyvard MARIETTE, Louis-Claude Saint-MARTIN - Les Décennies - 19e siècle - Tome septième : 1862 – 1863 (Edition du C R P, Noeux les mines, 2009)

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