Pompe funèbre en Adoption (1806)

Cette page nous est l'occasion de mettre en lumière deux maçons éminents, qui sont aussi des personnages importants de l'histoire de France.

Muraire

Le Comte Honoré Muraire (1750-1837) fut, malgré l'indépendance d'esprit qu'il a toujours manifestée, un important dignitaire de l'Empire, ce qui lui valut la disgrâce à la Restauration.

Dans le superbe ouvrage de Pierre Mollier et Pierre-François Pinaud, L'état-major maçonnique de Napoléon (Ed. A L'Orient, 2009), on peut lire que, membre en 1785 de la Loge dracénoise Le Triomphe de l'Amitié (constituée en 1784), il fut ensuite membre et Vénérable d'honneur d'Anacréon, membre de Saint-Napoléon et de La Grande Maîtrise, et qu'il devint, en 1812, Vénérable d'honneur de Thémis

Il devint, en 1804, officier d'honneur du Grand Orient et fut aussi membre du Suprême Conseil du REAA, dont il fut Lieutenant Grand Commandeur.

Les membres d'Anacréon n'ont pas manqué de l'encenser en chanson, en 1811 comme en 1812.

     

Decazes 

Fondateur de Decazeville, le duc Élie Decazes (1780 - 1860) fut le Premier Ministre et l'homme de confiance de Louis XVIII, mais l'assassinat en 1820 du Duc de Berry causa la fin de sa carrière politique. Le passionnant site Mondalazac lui consacre tout un chapitre.

Initié à la Loge d'Anacréon, il en fut Vénérable.

Il fut aussi Grand Commandeur du Suprême Conseil du REAA de 1818 à 1821 et de 1838 à sa mort.

Le Globe en donnait en 1840 (T. 2, p. 161-168) une notice biographique rédigée par Juge. Le portrait qu'en fait en 1832 le Nouveau Dictionnaire des Girouettes est moins flatteur (p. 284).

selon Bésuchet (T.2, p. 83) :

DECAZES (Élie, duc), pair de France, né à Saint-Martin en Laie, le 28 septembre 1780, d'une famille bourgeoise, anoblie en 1595 par Henri IV, dans la personne de Raymond Decazes. Il épousa en 1805 la fille du comte Muraire, dont il devint veuf l'année suivante. Membre du tribunal de première instance du département de la Seine, conseiller en la cour d'appel en 1810, M. Decazes ne dut sa haute fortune politique, que du reste il méritait par ses talents, qu'au rétablissement du gouvernement royal en 1814. Il devint préfet de police en 1815, conseiller d'État, membre de la chambre des députés, et successivement ministre de la police, ministre de l'intérieur, président du conseil des ministres ; et enfin comte, duc et pair de France. Il fait partie de la noble chambre des royalistes constitutionnels. Franc-maçon et membre en qualité de maître de la loge d'Anacréon, en 1808; au jour de la faveur, M. Decazes n'oublia pas ses frères. Nommé par les membres du rite écossais très-puissant souverain, grand commandeur, il présenta au roi Louis XVIII une médaille dont la composition est ingénieuse et patriotique. 

Le 1er août 1805, Decazes avait épousé la deuxième fille de Muraire, Elisabeth Fortunée, qui allait décéder dès le 24 janvier 1806.

Un tel événement ne pouvait que provoquer la plus grande consternation à la Loge d'Anacréon (dont étaient des membres éminents tant l'époux que le père de l'infortunée), tout comme à la Loge d'Adoption y attachée (dont celle-ci était elle-même membre).

Une Tenue de deuil fut donc organisée dans cette dernière.

J'ai eu la bonne fortune de mettre la main sur un fascicule de 8 pages, intitulé Loge d'Anacreon, Orient de Paris - Cantiques exécutés en Adoption pour la pompe funèbre de la Chère Soeur Elisabeth-Fortunée Muraire, fille du Vénérable d’honneur, épouse du Cher Frère Decazes.

Il est composé de 5 pièces :

  • Stances du cher Frère Antignac, chantées par le Très Cher Frère Nourrit

  • Chant Funèbre, paroles du Cher Frère Moilin, Orateur adjoint, musique et chant du Cher Frère Fabry Garat

  • Élégie chantée par la Chère Sœur Manen, oratrice, auteur des paroles et de la musique

  • Stances, paroles du Cher Frère Prevost d'Iray, musique et chant du Cher Frère Fabry Garat

  • Trio Italien, paroles et musique du Cher Frère Imbimbo de la Loge ancienne, à L'Orient de Montpellier, chanté par les Chers Frères Imbimbo, Nourrit et la Chère Sœur Degide.

Parmi ces protagonistes, on peut reconnaître quelques personnalités connues :

Chrétien-Siméon Le Prévost d'Iray (1768-1849) est un homme de lettres ; nous n'avions encore vu nulle part mention de son appartenance maçonnique.

Antignac est un des collaborateurs les plus réguliers de la Lyre maçonnique.

Fabry Garat fait l'objet d'une page de notre site compositeurs maçons ainsi que Imbimbo.

Louis Nourrit

Le célèbre ténor Louis Nourrit, élève de Pierre-Jean Garat, appartint, selon Christine Naslin-Gaudin dans son article artistes lyriques pour l'Encyclopédie de la Franc-maçonnerie par divers auteurs sous la direction d'Eric Saunier (Pochothèque, 2000), aux Loges l'Âge d'Or (1802), L'Amitié (1806-1808) et Anacréon (1808-1816). Il se produisait volontiers en Loge, ce qui lui vaut d'être mentionné sur ce site à plus d'une autre reprise : 1, 2, 3, 4, 5. Il est le père d'Adolphe Nourrit.

 

Voici ce qu'en écrit Fétis dans son T. 6 :

NOURRIT (Louis), né à Montpellier le 4 août 1780, fut admis comme enfant de chœur dans la collégiale de celle ville, et y apprit la musique. A l'âge de seize ans, il se rendit à Paris pour y compléter son instruction dans cet art. Doué d'une belle voix de ténor, il fixa sur lui l'attention de MéhuI, qui le fit entrer au Conservatoire le 30 floréal an X (juin, 1802). D'abord élève de Guichard, il resta un an sous sa direction, puis (août 1803) il fut confié aux soins de Garat qui, charmé de la beauté de sa voix, lui donna des leçons avec affection, et en fit un de ses élèves les plus distingués. Le 3 mars 1805, Nourrit débuta à l'Opéra par le rôle de Renaud, dans Armide : le succès qu'il y obtint lui procura immédiatement un engagement comme remplacement de Lainez. Le timbre pur et argentin de sa voix, l'émission naturelle et franche des sons, la justesse des intonations et sa diction musicale, bien que peu chaleureuse, indiquaient assez l'école dont il sortait. C'était une nouveauté remarquable à l'Opéra que cette manière large et correcte qui ne ressemblait point aux cris dramatiques de Lainez et de ses imitateurs. Les anciens habitués de l'Opéra s'alarmaient pour leur vieille idole, mais les connaisseurs voyaient dans le succès de Nourrit le commencement d'une régénération de l'art du chant, qui ne s'est cependant achevée à la scène française que plus de vingt ans après. Plusieurs autres rôles chantés par Nourrit, particulièrement ceux d'Orphée et de l'Eunuque, dans la Caravane du Caire, achevèrent de démontrer sa supériorité comme chanteur sur les autres acteurs de l'Opéra. Malheureusement son jeu ne répondait pas aux qualités de son chant : il était froid dans les situations les plus vives, et la crainte de tomber dans l'animation exagérée de Lainez le jetait dans l'excès contraire. Malgré ses défauts énormes comme chanteur, celui-ci avait une chaleur entraînante et une rare intelligence de la scène ; qualités qui ne sont jamais devenues le partage de Nourrit, quoiqu'il ait acquis par l'usage plus d'aisance et d'aplomb. Modeste et timide, il n'éprouvait jamais les élans d'enthousiasme qui font de l'artiste une sorte de missionnaire : en entrant au théâtre, il avait pris un état. Le soir où il joua pour la première fois le rôle d'Orphée, Garat, son maître, vint dans sa loge, et avec cet accent énergique et tout méridional qu'on lui a connu, il dit à son élève : Après un tel succès vous pouvez prétendre à tout ! — Je suis charmé de vous avoir satisfait, répondit Nourrit, et je vous remercie des encouragements que vous voulez bien me donner ; mais je n'ai pas d'ambition. — Tu n'as pas d'ambition, malheureux ! Eh ! que viens-tu faire ici ? 

En 1812, après la retraite de Lainez, Nourrit devint chef de l'emploi de ténor à l'Opéra : il le partagea plus tard avec Lavigne ; mais en 1817 il en reprit la possession exclusive ; Renaud, Orphée, l'Eunuque de la Caravane, Colin du Devin du Village, Demaly dans les Bayadères, Aladin dans la Lampe Merveilleuse, furent ses meilleurs rôles. Jusque dans les derniers temps, il conserva le joli timbre de son organe. Au commencement de 1826, il prit la résolution de quitter la scène, et obtint la pension qu'il avait gagnée par un service de vingt et un ans. Retiré depuis lors dans une maison de campagne qu'il possédait à quelques lieues de Paris, il y vécut dans le repos, renonçant même au commerce de diamants qu'il avait fait pendant toute la durée de sa carrière théâtrale. Un dépérissement rapide le conduisit au tombeau le 23 septembre 1831, à l'âge de cinquante et un ans.

Moilin est l'auteur en 1808 d'un autre hymne funèbre, où il est également désigné comme membre d'Anacréon. Peut-être s'agit-il d'un Citoyen Moilin, mentionné en 1801 comme collaborateur de la Nouvelle Bibliothèque des Romans aux pages 184 et 149 du Volume 4 du Journal général de la littérature de France et auteur de la nouvelle Le Repentir dans le vol. 8 de cette revue, et/ou du traducteur en 1798 d'Ann Radcliffe. Il est aussi l'auteur de Couplets sur l'affiliation de la loge de l'Age-d'Or à celle d'Anacréon. Le fichier Bossu nous apprend qu'il se prénommait Simon-Michel, était avocat et fondateur et membre de l'Affiliation Lyrique et Anacréontique d'Anacréon. En 1818, il était avocat au Parlement. On voit ici qu'il était toujours vivant en 1827.

Nous n'avons rien pu trouver sur la Chère Soeur Degide, qui a contribué au Trio Italien ; c'est d'ailleurs, sauf erreur, la première fois que nous trouvons une Soeur dans la liste des interprètes sollicités en Loge pendant l'Empire, qui sont en général des vedettes masculines de l'Opéra. Mais peut-être était-ce, non une célébrité, mais un membre de cette Loge d'Adoption, comme l'était la Chère Sœur Manen, oratrice, à qui l'on doit l'Élégie ?

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