Des plaisirs de la table

Cliquez ici (midi) ou ici (MP3) pour entendre l'air (voix 1) proposé par Christophe Toussaint comme mentionné ci-dessous

Nous avons trouvé cette chanson, dont l'incipit est Des plaisirs de la table, à la p. 157 de l'édition dite C des Recueils de Jérusalem.

Elle figure également :

On en retrouvera le premier couplet dans la partie francophone du recueil Free-mason's vocal assistant paru à Charleston en 1807 (p. 204).

Pour autant que la date mentionnée à l'édition A soit bien exacte, la chanson ne pourrait pas être postérieure à 1752.

L'air Buvons à tasse pleine serait une parodie (datant de 1718) de la 1ère fanfare des Caractères de la guerre de Dandrieu. Via cette page du très riche site de Christophe Toussaint, on en trouve une partition et des fichiers sonores.

L'expression, à l'antépénultième vers, Nulle profane (qui, dans certaines éditions, devient Nul profane) donne bien à penser que, comme il ressort de l'ensemble du texte, le cadre de cette chanson est une Loge mixte ou d'Adoption. 

Le premier couplet (outre l'inévitable mise en garde contre les excès de table) évoque d'ailleurs un thème fréquent dans ce cadre (voir notamment ici) : c'est l'amitié qui dans une telle Loge règle, à l'exclusion de l'amour, les rapports entre personnes de sexe différent.

Le grand air de la calomnie

De tout temps, le sexe, le pouvoir et l'argent ont été (outre évidemment le secret !) les thèmes de prédilection des fantasmes sur la franc-maçonnerie. 

Au XVIIIe, c'est le premier de ces trois thèmes qui semble avoir le plus de succès : les loges masculines y furent soupçonnées d'abriter des pratiques homosexuelles (le soupçon imaginaire dénoncé par Clérambault), tandis que les loges mixtes ou d'Adoption étaient accusées de favoriser des pratiques fort libertines ... ou même les pires débauches.

L'argument défensif selon lequel en loges mixtes on cultivait la pure amitié à l'exclusion de tout sentiment amoureux se rencontre dès lors fréquemment dans le chansonnier maçonnique du XVIIIe.

A la fin du XIXe, au moment où les Loges d'Adoption n'avaient plus guère d'activité, mais où approchait la naissance d'une vraie maçonnerie mixte, la calomnie ne pouvait évidemment que reprendre de plus belle (mais cette fois elle n'était pas seulement le fait des anti-maçons tels que Léo Taxil : des maçons masculins y ont parfois mis la main).

Il est amusant aujourd'hui de rappeler la manière dont voici près d'un siècle le Droit Humain tentait de s'immuniser contre de tels soupçons :

Dans les Loges symboliques du Droit Humain le baiser fraternel n'est donné qu'entre personnes appartenant au même sexe. Si le premier plateau est occupé par une Soeur et si le nouvel initié est un frère, c'est un membre de la Loge appartenant au sexe masculin qui donne au néophyte l'accolade fraternelle ...

(Amélie André-Gedalge, Manuel interprétatif du Symbolisme maçonnique - 1er degré symbolique - Grade d'Apprenti ; reprint Belisane 1986, p. 55)

Les calomnies de Taxil

ci-contre et ci-dessous : deux extraits particulièrement significatifs de l'imaginatif et délirant pamphlet (1886) de Taxil, Les Soeurs maçonnes.

Et le second couplet évoque le thème classique des Rituels d'Adoption, celui d'Eve et du fruit défendu.

 CHANSON

 

Sur l'air : Buvons à tasse pleine.

 

Des plaisirs de la table
Goûtons les attraits,
Evitons les excès ;
Une sagesse aimable
Préside sur tous nos banquets :
Dans ce charmant séjour,
Nos cœurs sont exempts du pouvoir de l’amour,
Et dans nos doux loisirs,
La tendre amitié regle tous nos desirs.

 

Un arbre favorable
Présente à nos yeux
Un fruit délicieux ;
Quoiqu’il soit agréable,
Il peut être pernicieux ;
Et jamais sans danger
Nulle profane ne pourra le manger,
Car ce n’est qu’à nos soeurs
Qu’il est accordé d’en goûter les douceurs.

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