Pompe funèbre pour Louis XVIII

A la suite du décès de Louis XVIII le 16 septembre 1824, le Grand Orient de France a organisé le 25 novembre 1824 une pompe funèbre en son honneur. 

Elle était présidée par Roëttiers de Montaleau (le fils d'Alexandre Louis), en tant que représentant particulier du Grand Maître.

Le Tracé en est accessible sur Gallica.

Sa lecture montre que la mise en scène en fut particulièrement spectaculaire, avec une riche illustration musicale à laquelle contribuaient des trombones et ... des tam-tams.

Parmi les textes, on notera des stances élégiaques du Frère Langlacé, président de la Grande Loge d'Administration, et le discours de l'Orateur, le Frère Borie.

Le roi défunt y est présenté comme le plus vertueux des monarques et comme le plus tendre des pères.

Deux cantiques ont été chantés lors de cette cérémonie, tous deux sur un texte de Bouilly et une musique du Frère Chenié, l'un au cours et l'autre à la fin de la cérémonie.

Louis XVIII maçon ?

Louis XVIII a-t-il été maçon ? La question a été abondamment discutée par les historiens. Il n'en existe aucune évidence documentaire ni certitude, tout juste des suppositions basées sur l'existence de la Loge Militaire des Trois Frères Unis à l’Orient de la Cour. Il était cependant d'usage chez les maçons de l'affirmer, ou du moins, plus prudemment, de le donner à penser (et il en fut évidemment de même pour Charles X (comme dans ce très péremptoire discours, particulièrement obséquieux, de Marconnay en 1824 à la loge de La Clémente Amitié). 

S'il est possible qu'il ait eu une activité maçonnique dans sa jeunesse quand il était encore comte de Provence, il est en revanche certain qu'il n'en a eu aucune après son accession au Trône. Mais il a manifesté pendant son règne une certaine bienveillance à la maçonnerie, bienveillance à laquelle contribua certainement sa confiance envers le libéral Decazes -  en tout cas jusqu'à l'assassinat du Duc de Berry, entraînant la disgrâce de celui-ci : intervient à ce moment un raidissement conservateur, d'autant que le 13 septembre 1821 Pie VII, dans sa Bulle Ecclesiam a Jesu Christo, lance une nouvelle condamnation de la maçonnerie (qu'il confond avec le carbonarisme) et qu'en 1822 a lieu le Congrès de Vérone

C'est donc à juste titre que le feu roi est ici qualifié d'Auguste protecteur de l'Ordre.

Le discours du Frère Borie se termine par le texte ci-dessous, juste avant le dernier cantique et le dépôt de fleurs sur le cénotaphe qui marque la fin de la cérémonie.

... comme Maçons, nous devons [à tes mânes sacrés] un hommage plus cher encore. Oui, et la reconnaissance ne nous permet plus d'en cacher le mystère, tu n'étais pas étranger à notre institution. Une loge fut créée en 1775, parmi les gardes-du-corps à Versailles, sous le titre distinctif des Trois Frères à l'Orient de la Cour, et l'on a déjà pénétré l'allégorie légère que couvre ce glorieux patronage. Forcé plus tard, hélas ! de renoncer à ce nombre ternaire si chéri, elle reprit ses travaux sous un nouveau titre ; elle existe dans cet Orient plein de vigueur et de force, et fière de ce précieux souvenir. 

Mais il n'est pas prétendu qu'une fois devenu roi il ait été plus qu'un royal protecteur :

Qu'on ne s'étonne donc plus des résultats heureux de ta royale protection, lorsque, sur la foi du noble guerrier, du chef révéré que nous pleurons encore, tu daignes faire rouvrir plusieurs de nos temples fermés, ou par l'effet d'une faiblesse méticuleuse, ou par l'exagération d'un zèle indiscret. 

Il fait enfin allusion au projet, formé par le maréchal de Beurnonville, de porter à la Grande Maîtrise le duc de Berry, projet auquel Louis XVIII ne donna semble-t-il pas de suite :

Qu'on ne s'étonne donc plus enfin, si, sur les inspirations de ce digne chef, nous avions conçu le doux espoir de voir un fils de France diriger nos travaux. Nous avions son aveu ; le tien, guidé par ta prudence, devait céder au tems. Ce tems, impitoyable, vint le ravir à notre amour, et nous fûmes contraints d'environner sa tombe de lugubres cyprès, quand nos mains s'occupaient à tresser la guirlande de roses et d'acacias, dont nos voeux aspiraient à couronner sa tête. Si le sort a trahi notre espérance, il n'a ni altéré la source, ni diminué la force de nos souvenirs reconnaissans. Ta noble image restera toujours gravée dans nos âmes, et ta vertu de choix, la douce bienfaisance, idole de nos coeurs, sera le mot sacré qui ralliera sans cesse autour de ta cendre adorée la grande famille des Maçons. 

L'Univers maçonnique (colonne 563) rapporte à ce sujet, en 1835, l'anecdote suivante :

La chute du gouvernement impérial ayant privé l'asssociation de ses puissans protecteurs, le maréchal demanda directement au roi un auguste protecteur pour l'ordre. Louis XVIII répondit sans hésiter "qu’il ne souffrirait jamais qu'un membre de sa famille se plaçât à la tête d'une association secrète quelconque.- Sire, répliqua le maréchal, s’il plaisait à votre majesté de m'autoriser à diriger l'active bienfaisance des Maçons, je lui répondrais du devoûment de la société à votre auguste dynastie. - Soit, j'y consens, répondit le roi."

Bouilly

Jean-Nicolas Bouilly (1763-1842) était avocat et homme de lettres. Au théâtre, il collabora notamment avec Pain (pour son oeuvre la plus connue, Fanchon la vielleuse), Grétry, Dalayrac, Plantade, Méhul, Isouard, Berton, Désaugiers et Boieldieu

Sa pièce (1798) Léonore ou l'amour conjugal (musique de Gaveaux) inspirera le livret de Fidelio.

Il fut également dignitaire du Grand Orient.

Il a publié en 1837 une Explication des douze écussons qui représentent les emblèmes et les symboles des douze grades philosophiques du rite écossais dit ancien et accepté

Le Globe a publié en 1839 ses recherches sur le nombre trois. On trouve également son nom dans la liste des collaborateurs de L'Univers maçonnique.

ci-contre : portrait de Bouilly, publié dans le Tome premier (première année, 1839) du périodique maçonnique Le Globe.

On peut trouver sous sa signature un hommage du Grand Orient de France au Général Lafayette commençant par Salut, Nestor de la maçonnerie ! Salut au fondateur de notre liberté !

Au chapitre V de Soixante ans de souvenirs, Ernest Legouvé en trace un long et sympathique portrait (le plus gai compagnon, le plus franc rieur, le conteur le plus amusant que j’aie connu), dont nous extrayons le passage suivant :

La franc-maçonnerie est, pour les uns, un objet de terreur ; pour les autres, un objet de risée ; pour ceux-ci, un prétexte à mauvais dîners et à mauvais discours ; pour ceux-là, l’occasion d’excellentes œuvres de charité. Pour M. Bouilly, ce fut l’emploi de ses meilleures facultés naturelles : la sympathie d’abord ; il se trouvait du coup à la tête de vingt-cinq mille frères ! La générosité, il y avait toujours là quelque chose à donner ; l’éloquence, il y avait toujours là quelque chose à dire ; enfin, son fond même de vieux libéral y avait sa place, la franc-maçonnerie étant toujours de l’opposition. Les premiers grades étaient alors occupés par des hommes fort considérables : Philippe Dupin, Berville, Mauguin. M. Bouilly arriva facilement aux titres les plus élevés. Président de la loge des Amis de la vérité et membre supérieur du Grand-Orient, les réunions maçonniques, les cérémonies maçonniques, les banquets maçonniques, lui devinrent autant de sujets de discours, dont la préparation le mettait en verve, comme jadis ses premières représentations. Il les composait ainsi qu’une scène de théâtre, avec un plaisir de plus, celui de les agrémenter de citations latines.

Dans le Dictionnaire de la Franc-maçonnerie de Ligou (PUF), Pierre Lamarque note effectivement que ses discours d'apparat en tenue de Grand Orient étaient très estimés.

Par ailleurs, Lamarque, ainsi que Bésuchet, donne Bouilly comme membre (et Vénérable) des Frères Artistes plutôt que, comme Legouvé (dont les souvenirs sont sans doute ici imprécis), des Amis de la Vérité, Loge à tendances carbonaristes. Dans sa notice biographique publiée en 1835 dans le n° 3 (colonne 564) de l'Univers maçonnique, il est bien mentionné comme ancien Vénérable des Frères Artistes.

Bouilly fait également l'objet d'une large notice dans le Dictionnaire géographique, historique et biographique d'Indre-et-Loire et de l'ancienne province de Touraine, où l'on peut lire :

Ses funérailles eurent lieu le 27 [avril 1842]. Une foule de hauts personnages, les notabilités de la littérature, les compositeurs en renom, des députations de tous les théâtres, les principaux dignitaires de la Franc-maçonnerie, dont le défunt était membre, composaient le cortège. Un discours fut prononcé sur sa tombe par Viennet, de l'Académie Française. 

En 1839, il fut un des premiers lauréats des récompenses maçonniques du Grand Orient de France.

Lors de la Fête de l'Ordre du Grand Orient, le 24 juin 1842, le Frère Tardieu déplora sa perte dans les termes suivants (p. 53) :

Bouilly ! Ombre chère et sacrée, ta mort a frappé nos coeurs du coup le plus sensible. Quels transports d'allégresse ta présence excitait au milieu de nous ! Tes enseignements se gravaient profondément dans nos âmes, et nos esprits suspendus pour ainsi dire à tes lèvres, recueillaient avidement les leçons de la sagesse la plus douce et la plus aimable. Nos regards te cherchent et t'appellent. Nos pleurs coulent amèrement de la perte récente que nous avons faite de notre père. Je ne sais si je m’abuse, mes Frères, mais au milieu de mes larmes il me semble distinguer l'ombre de notre ami qui s'avance silencieusement au milieu de nous..... Il nous sourit !... Il nous tend les bras !...O Bouilly ! toi qui fus toujours si bon et si affectueux pour moi, viens, viens à mon aide, soutiens ma faiblesse, prête-moi quelques-unes de ces inspirations qui puissent rendre ce discours agréable à nos frères.

Une page du Globe en 1841 nous rapporte à son sujet une anecdote particulièrement instructive quant aux grotesques disputes de préséance entre Rites qui, à cette époque comme en d'autres, ont tant fait pour ridiculiser la maçonnerie française.

Bouilly était également Député du Chapitre rouennais des Arts-Réunis, qui par la voix de Houdard lui rendit hommage à son décès.

Selon Marconnay (qui le lui a reproché), il aurait en 1825 affirmé que les maçons Ecossais ne sont pas Français.
 

Mais c'est dans le très intéressant ouvrage de François Cavaignac (avec préface de Pierre Mollier) Les francs-maçons au théâtre : de la Révolution à la Belle Epoque (Véga, 2011) qu'on peut trouver une analyse plus récente - et très complète (pp. 123-135) - sur Bouilly et son activité maçonnique.

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