Berton

 

Membre d'une grande famille de musiciens, Henri-Montan Berton (1767-1844) fut violoniste, pédagogue et compositeur (principalement de musique vocale et surtout d'opéras). Opportuniste, il sut se faire apprécier par tous les régimes, comme en témoigne malignement le portrait qu'en fait en 1832 le Nouveau Dictionnaire des Girouettes (voir p. 122) qui lui en décerne 10.

Le Bihan, dans son ouvrage Francs-maçons parisiens du Grand Orient de France, donne un Berton, Ordinaire de la musique du Roi, comme membre de la Loge le Patriotisme à l'Orient de la Cour en 1785-88, mais il se prénomme Joseph. Nous n'en avons pas trouvé trace, non plus que d'une présence à Versailles d'Henri-Montan à cette période ; dans son riche ouvrage Les Musiciens francs-maçons au temps de Louis XVI (Véga, 2009), Pierre-François Pinaud considère cependant qu'il s'agit bien de lui. Une indication peut-être moins aléatoire, mais concernant une autre période, est fournie par Cotte (recopié par Bossu à cette fiche) qui (malheureusement sans citer sa source ni donner de précision) le donne comme membre en 1802 de la loge parisienne La Trinité et écrit qu'il semble avoir composé de la musique maçonnique.

Compte tenu du caractère maçonnique de la Loge Olympique, cette supposition est peut-être à mettre en rapport avec l'existence d'une partition manuscrite détenue par la BNF sous le titre Hymne à Apollon // Composée en 1787, Pour les Concerts de la Loge Olympique // Par // H: M: Berton // Exécutée par M.M.rs Rousseau, Lays et Chéron // et Les Choeurs par les artistes de L'Opéra. Cette partition avait connu une première exécution (avec les mêmes chanteurs) sous le titre Ode sacrée au Concert spirituel le 6 avril 1787, comme en témoigne Pierre Constant, dans son Histoire du Concert Spirituel 1725-1790 (Paris, Société française de musicologie, 1975 ; voir p. 335, n° 1203). Le texte (d'incipit Mortels qui des beaux arts reconnaissez l'empire) est de Pierre-Louis Moline (qui sera membre honoraire des 9 Soeurs en 1808 et que Le Bihan donne comme membre en 1776 de Saint-Juvénal à Compiègne) ; on trouve ce texte (désigné comme choeur inédit de Berton) reproduit en 1841 au final de la pièce de Morin, Les débuts à Bordeaux ; il n'a rien de spécifiquement maçonnique. On relève également chez Constant que six de ses oeuvres firent l'objet de 44 exécutions entre 1786 et 1790 au Concert Spirituel.  

 

ci-contre : médaillon par David d'Angers (qui était membre de la loge d'Angers le Père de Famille), 1840 (image sous licence CC0 empruntée à cette page du Musée Carnavalet sur le richissime site Paris Musées.)

Cette mention à un document de 1810 garantit en tout cas son appartenance :

 

Kloss mentionne aussi (n° 4217, p. 316) un feuillet de 4 pages portant les mentions Saint-Jean d'Hiver 5814 - Fête de l'Ordre - Vive le Roi, paroles de Mr. de Beaumont-Bouillon, musique de Mr. Berton.

Voici ce qu'en dit Fétis dans son T. 1 :

BERTON (Henri-Montan), né à Paris le 17 septembre 1767, est mort dans cette ville le 22 avril 1844. Dès l'âge de six ans il apprit la musique ; à quinze, il entra comme violon à l'orchestre de l'Opéra. La première année (1782) il ne fut que surnuméraire ; mais un an après on l'admit comme titulaire. Son premier maître de composition fut Rey, chef d'orchestre de l’Opéra, qui ne parut pas apercevoir les heureuses dispositions de son élève. Sacchini fut le deuxième ; non qu'il ait enseigné à Berton le mécanisme du contrepoint ou de l'harmonie ; mais il lui donna des conseils sur la disposition des idées mélodiques, sur la modulation et la conduite des morceaux de musique dramatique. Ce genre d'éducation dans l'art d'écrire, peut-être un peu superficiel, était le seul que le jeune compositeur pût recevoir ; car je ne crois pas qu'il y eût alors en France un seul homme, à l'exception de Gossec, qui eût des connaissances réelles dans la théorie du style scolastique, et même il n'est pas certain que Gossec eût des idées nettes à cet égard. Quoi qu'il en soit, entraîné comme il l'était par un penchant irrésistible vers la musique du théâtre, Berton ne pouvait avoir de meilleur guide que Sacchini. Une partition, alors nouvelle, fixa son attention et devint son modèle dans l'art d'écrire : c'était la Frascatana de Paisiello ; il y puisa le penchant à la simplicité qui est considéré comme un des caractères distinctifs de son talent. Animé du désir de se faire connaître, il parvint à se procurer un livret d'opéra dont le titre était La Dame invisible, et il en composa la musique. Mais à peine cet ouvrage fut-il achevé, qu'il éprouva l'inquiétude la plus vive sur le jugement qu'on en porterait. Une dame, qui connaissait Sacchini, se chargea de lui mettre sous les yeux la partition du jeune musicien. L'artiste célèbre y ayant trouvé le germe du talent, demanda à voir l'auteur, le rassura contre ses craintes, et l'engagea à venir travailler chez lui tous les jours. En 1786, Berton, âgé de dix-neuf ans, fit entendre ses premiers ouvrages au concert spirituel ; ils consistaient en oratorios ou cantates. L'année suivante il donna son premier opéra à la Comédie italienne, sous le titre des Promesses de mariage : cette légère production fut favorablement accueillie. Plusieurs ouvrages succédèrent rapidement à ce premier essai, et confirmèrent les espérances qu'avait fait naître le talent de leur auteur ; mais le premier opéra où sa manière individuelle commença à se dessiner fut celui dont Fiévée lui fournit le livret, et qui avait pour titre Les Rigueurs du cloître. On y remarqua particulièrement un chœur de nonnes, de l'effet le plus comique et le mieux senti. A l'époque où parut cet ouvrage, l'effervescence révolutionnaire imprimait aux arts une direction analogue aux idées énergiques du temps. Méhul, Cherubini venaient de faire entendre un genre de musique empreint de cette énergie, à laquelle la grâce était peut-être un peu trop sacrifiée. Il était difficile que Berton ne cherchât pas à satisfaire les besoins du moment dans ses compositions ; mais en suivant la route nouvelle, il ne se fit pas le copiste de ceux qui l'avaient tracée, et le développement de son individualité resta le constant objet de ses travaux. Ponce de Léon, dont il avait fait le livret et la musique, Montano et Stéphanie, et Le Délire furent les œuvres principales de cette période de sa vie.

Le Conservatoire de musique de Paris ayant été organisé en 1795, Berton y fut appelé comme professeur d'harmonie. Nommé en 1807 directeur de la musique de l'Opéra italien, qu'on appelait alors l’Opéra buffa, il en remplit les fonctions jusqu'en 1809. Ce fut pendant sa direction qu'on entendit à Paris, pour la première fois, les Nozze di Figaro, que Mozart avait écrites vingt ans auparavant. Ce chef-d'œuvre commença la réforme du goût de la musique en France, et fit comprendre à une population ignorante de l'art le charme que les richesses d'harmonie et d'instrumentation peuvent ajouter à de belles mélodies. A sa sortie du Théâtre italien, Berton obtint sa nomination de chef du chant de l'Opéra ; il garda cette place pendant que Picard dirigea l'Opéra, c'est-à-dire jusqu'à la fin de 1815. Au mois de juin de cette année, le nombre des membres de la section de musique de l'Institut ayant été porté à six, au lieu de trois, Berton fut désigné, avec Catel et Cherubini, pour compléter ce nombre. Peu de temps après, le roi le fit chevalier de la Légion d'honneur. La désorganisation du Conservatoire avait été la suite des revers de la France, en 1815 ; l'année suivante, l'intendance des Menus-Plaisirs du roi le rétablit sur de nouvelles bases, et Berton y fut appelé comme professeur de composition et comme membre du jury d'examen. En 1834 il fut fait officier de la Légion d'honneur. Il était aussi décoré de plusieurs ordres étrangers.

L'instinct de la scène se fait remarquer dans toutes les bonnes productions de Berton ; cet instinct est un des traits distinctifs de son talent, complété par une certaine originalité de mélodie, d'harmonie, de modulation et d'instrumentation. La musique de cet artiste a un caractère d'individualité si prononcé, qu'elle ne laisse jamais de doute sur le nom de son auteur. Ce n'est pas cependant qu'elle n'offre qu'un type unique ; Montano et Stéphanie, Le Délire, et Aline, présentent des variétés de systèmes très sensibles. Dans ces ouvrages, Berton a su colorer sa pensée de la manière la plus convenable aux situations. On voit un exemple fort remarquable de son heureuse facilité à cet égard dans l'opposition du style oriental dont le premier et le dernier acte d'Aline sont empreints, et de la fraîcheur provençale du second acte du même ouvrage. Malheureusement l'artiste à qui l'on doit ces estimables productions n'a pas toujours mis le même soin aux œuvres qui succédèrent aux opéras qui viennent d'être nommés ; la négligence se fait apercevoir dans un grand nombre de ses ouvrages. D'ailleurs, lorsque vint le temps où l'imagination avait perdu son activité, Berton ne sut pas s'arrêter ; il continua d'écrire, accordant trop de confiance aux procédés de l'art et à l'expérience. C'est ainsi que ses derniers ouvrages n'offrent guère que des réminiscences affaiblies de ses anciennes productions. Montano et Stéphanie est signalé depuis longtemps comme le chef-d'œuvre de cet artiste ; je crois qu'il n'y a pas moins de mérite dans Le Délire et dans Aline, ouvrages écrits dans des genres différents.

[suit une liste de ses œuvres]

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