Les Amis Philanthropes

 

La Loge des Amis Philanthropes constitue une des plus anciennes et prestigieuses Loges bruxelloises. C'est elle qui, sous l'impulsion notamment de Théodore Verhaegen, a été à la base de l'institution de l'Université libre de Bruxelles.

Issue de la Loge militaire ambulante créée au sein de la 66e demi-brigade de l’armée française cantonnée à Bruxelles, elle fut constituée le 17 février 1798. 

Dès la même année, elle inaugurait son propre Temple. La Planche tracée de l'inauguration de la Loge des Amis Philanthropes, le 1er décembre 1798, relate cette cérémonie ; on y voit que la musique y était déjà mise à l'honneur.

Dans son article Franc-maçonnerie et vie musicale à Bruxelles dans la seconde partie du XVIIIe siècle, paru dans l'ouvrage collectif (sous la direction de Brigitte Massin) Mozart : les chemins de l'Europe (Editions du Conseil de l'Europe, 1997), Paul Raspé signale d'ailleurs que 21 Frères artistes de l'Harmonie figuraient déjà à son Tableau lors de sa création, ce qu'on peut vérifier aux pp. 50-51 du document précité.

Trois ans après sa création, la Loge se voyait dédier un recueil de cantiques maçonniques, oeuvre du Frère Legret. 

En 1807, elle critiquait vigoureusement la pollution de la maçonnerie résultant de sa politisation.

Parmi les compositeurs et musiciens qui en ont été membres, on peut citer :

Innombrables sont par ailleurs les célébrités qui firent partie de cette Loge ou d'une de ses filles. Citons par exemple :

La Loge se voulut toujours un centre d'activité intellectuelle, et d'éminentes personnalités y prirent la parole en visiteurs, tels :

médaille frappée par la Loge en l'honneur de Victor Horta

ci-contre à gauche : règlements de 1798 (cette brochure a été rendue consultable par la Bibliothèque Royale de Belgique)

médaille frappée par la Loge en l'honneur de 3 Vénérables successifs (à gauche, Henri Lafontaine)

à gauche (détail au centre) et à droite : deux frappes différentes de la médaille 

médailles du 100e (à gauche) et du 200e (ci-dessus) anniversaires

Les Amis Philanthropes ont plusieurs Loges-filles, qui portent le même nom complété par un numéro. 

En 1895, des tensions, nées à l'occasion d'un conflit survenu à l'ULB à propos de l'engagement par celle-ci du géographe et anarchiste Elisée Reclus, deviennent si vives entre traditionalistes et progressistes qu'une scission se produit : les premiers, sous la conduite de Goblet d'Alviella, créent les Amis Philanthropes n° 2.

On voit deux versions (celle de droite , matricée d'une pièce, est sans doute plus récente que celle de gauche, en deux pièces) de la médaille des Amis Philanthropes n° 2 (qui se sont eux-mêmes plus tard scindés - images ci-dessous - en 2 Alpha et 2 Omega ; cette dernière est pour sa part très active dans le domaine de la promotion des arts plastiques).

 

plaquette pour les AP2 en 1930 par Victor Rousseau (1865-1956).

C'est une tout autre ligne de clivage qui va séparer traditionalistes et progressistes en 1911 et entraîner un nouveau dédoublement de la Loge (forte alors de 400 membres !) avec la création des Amis Philanthropes n° 3 : le soutien de la Loge - alors présidée par Henri Lafontaine, futur Vénérable d'une Loge du Droit Humain - à la création de la maçonnerie mixte. 

Amis Philanthropes n° 3 : médaille des années 1930
 
 

médailles d'ancienneté argentée et dorée, pour respectivement 25 et 40 ans, des Amis Philanthropes n° 3 (voir sur une autre page de ce site une médaille d'Adoption de cette Loge)

Parmi les personnalités ayant été membres des AP3, on peut citer :

  • Robert Hamaide (1907-1979), juriste, fondateur de La Pensée et les Hommes, Grand Maître du Grand Orient de Belgique en 1954

  • Raoul Engel

  • Georges Van Hout (1918-2004), mathématicien, homme de lettres, réalisateur de radio (sous le pseudonyme de Jean le Paillot), président de La Pensée et les Hommes de 1979 à 1993.

  • les compositeurs Marcel Poot, Paul Danblon et Georges Soudant

En 1928, la fondation de la Loge Prométhée (dont fut membre l'historien John Bartier) résultera d'une scission au sein des AP3.

à gauche : si les Amis Philanthropes n° 4 (installés en 1973) portent (AP4 H St J) le nom d'Henri Saint-Jean, ce n'est pas en l'honneur du prévoltairien Henri Saint Jean de Bolingbroke (1678-1751), mais bien d'un ancien Vénérable des Amis Philanthropes, décédé en 1969 et auquel la Loge a consacré une médaille (à droite).

 

à gauche : Les Amis Philanthropes n° 7 Delta

 

à droite : monument par Georges Dobbels (1910-1988) érigé sur le campus par Les Amis Philanthropes en 1984 à l'occasion du 150e anniversaire de l'ULB (image empruntée au site Sculptures en région bruxelloise, par commune).

Le grand Temple des Amis Philanthropes fait souvent l'objet de visites guidées lors des Journées du Patrimoine de la Région bruxelloise (en septembre). Ci-dessus à droite : la photo diffusée à cette occasion ; au centre : photo de 1883 ; à gauche (cliquer sur l'image pour l'agrandir), une gravure qui faisait la couverture du Patriote illustré maçonnique.

Le Patriote illustré maçonnique

Il s'agit d'un n° spécial (daté du 27 juillet 1890), à caractère parodique et anti-maçonnique, de l'hebdomadaire le Patriote illustré

Cet hebdomadaire était associé au quotidien catholique conservateur le Patriote, rebaptisé La Libre Belgique après la guerre de 14 ; avant la guerre de 40, fidèle à la même ligne anti-maçonnique, La Libre Belgique a publié des listes dénonçant des maçons. Signalons cependant que ledit journal a depuis lors reconnu ses erreurs, écrivant notamment, le 31.10.2006 : Plus discrète que secrète, la franc-maçonnerie a payé un lourd tribut pendant la Seconde Guerre et force est de préciser que la presse catholique - dont, hélas, notre journal... - y joua un rôle déplorable en publiant les listes des maçons à la fin des années 30 ce qui les exposa directement à la répression nazie.

Sur le thème du complot judéo-maçonnique, voici un extrait significatif de ce numéro, tiré d'un article du publiciste français Claudio Jannet (1844-1894 ; il est notamment l'auteur en 1877 de Les Sociétés secrètes et en 1884, avec Louis d’Estaing d’Estampes, de La Franc-maçonnerie et la Révolution) : 

La Franc-Maçonnerie a été ... avant tout une hérésie. Le Communisme et l'Anarchisme sont en puissance dans tous ses rites : ils sont la conséquence logique du naturalisme, qui depuis cent cinquante ans est enseigné dans toutes les loges ... Elle a servi puissamment les Juifs à pénétrer sur le pied d'égalité civile et politique dans toutes les nations chrétiennes ...

La photo du centre est empruntée au n° double (62-63, 2007) Franc-maçonnerie et beaux-arts de la revue La Pensée et les Hommes (éd. Espaces de Liberté), où on lira avec intérêt, entre autres, les articles concernant l'architecture maçonnique par Luc Nefontaine (L’architecture maçonnique, entre kitsch et néo), Eugène Warmenbol (Des sanctuaires de style égyptien pour y pratiquer des rites mystérieux) et Eric Heinnaut (Le Temple « assyrien » des Vrais Amis de l’Union et du Progrès Réunis). On y apprendra notamment que la chambre préparatoire au 3e grade du premier Temple des Amis Philanthropes, installé en 1798/9, comportait déjà des éléments égyptiens.

Ce Temple, installé dans l'ancien couvent des Carmélites, sera exproprié en 1864, et la Loge s'installe ensuite (en 1870) à la rue Ducale, d'où elle sera à nouveau expropriée en 1876. C'est alors que l'architecte Adolphe Samyn (1842-1903 ; il conçut également le Temple de la Loge verviétoise Le Travail et le fameux mausolée d'Eugène Goblet d'Alviella) réalise la transformation de l'immeuble actuel, acheté en 1877 : l'inauguration de ce nouveau Temple sera l'occasion en 1879 d'une grandiose cérémonie.

Une Loge éléphantesque ?

Ce n'est évidemment pas l'effectif - traditionnellement très important dès l'origine (déjà 134 membres en 1802) - des Amis Philanthropes que nous qualifions ainsi, mais le fait, symboliquement aussi curieux qu'inexpliqué (à notre connaissance), que ses décors comprennent toujours un éléphant, et ce depuis l'origine.

Ci-contre en effet, une gravure de Cardon, figurant déjà au document initial de 1798, le fait d'emblée apparaître.

Dans le discours de l'Orateur adjoint lors de la cérémonie de consécration de son Temple, le 1er décembre 1798, on peut d'ailleurs lire :

...Voyons aussi avec admiration, le superbe éléphant dans l'attente religieuse du lever du soleil, commencer sa journée par rendre grâces à l'être-suprême, en se prosternant devant cet astre ...

 

 

ci-contre : médaille du centenaire des AP3 : on appréciera la modernisation du thème de l'éléphant.

Cardon semble d'ailleurs avoir éprouvé un goût particulier pour la faune exotique, si l'on juge par cette gravure qu'il a signée (en bas à droite) pour la loge nivelloise des Amis Discrets.

 

A l'occasion de son 200e anniversaire, la Loge a émis (ci-dessous au centre)  un souvenir philatélique avec (détail à droite) un cachet spécial anniversaire sur le timbre la libre pensée. Les images dont détail à gauche représentent le cachet de la Loge avec une vue en plan du Parc de Bruxelles, plan dans lequel certains commentateurs ont cru pouvoir discerner des symboles maçonniques.

 

Promoteurs de la réconciliation belgo-hollandaise ? 

La médaille ci-dessous, dédiée en 1861 par les Amis Philanthropes à L'Union Royale de la Haye (Loge n° 1 du Grand Orient des Pays-Bas) et à toutes les Loges de la Néerlande, témoigne du réchauffement des relations entre les maçonneries belge et hollandaise, mises à mal par l'indépendance de 1830. Le lion belge y voisine avec le lion hollandais.

Des relations officieuses avaient cependant été maintenues ; dans son Histoire de la franc-maçonnerie belge au XIXe, Clément écrit même : l’amitié personnelle que Verhaegen avait toujours gardée aux Princes hollandais lui permit de rétablir les relations entre Loges hollandaises et belges, rompues depuis 1830 ; réconciliation maçonnique qui devait avoir une suite fort heureuse bien qu’imprévue car elle amena la réconciliation des deux gouvernements en 1861.

Au plan de la politique nationale, il est bien évident que la brouille avec le voisin hollandais ne pouvait être éternelle. Dès 1848 une inquiétude commune sur l’éventuelle contagion des événements de France avait commencé à rapprocher les deux pays. La crainte des visées expansionnistes de Napoléon III allait renforcer cette tendance, et en octobre 1861 - soit 4 mois après la date de la médaille ci-dessus - les deux rois se rencontreraient pour la première fois à Liège. 

Mais c’est seulement en 1882 que furent établies des relations officielles entre les deux Grands Orients ; jusqu’alors l’orangisme obstiné du Septentrion, resté fidèle au Grand Orient des Pays-Bas jusqu’à la mort en 1881 de son inamovible Vénérable Metdepenningen, les avaient exclues. 

On lira également avec intérêt le chapitre, par J. Lemaire, intitulé Goblet d'Alviella, la loge des Amis Philanthropes et le Grand Orient de Belgique, dans l'ouvrage publié sous la direction d'Alain Dierkens, Eugène Goblet d'Alviella, historien et francmaçon, édité par l’Université Libre de Bruxelles en 1995 et accessible via la digithèque des bibliothèques de cette Université.

On peut également consulter sur le web deux articles parus dans la revue Cahiers Bruxellois, éditée par les Archives de la Ville de Bruxelles : celui de J.-J. Hoebanx, Quelques aspects de la vie d'une loge bruxelloise, les Amis Philanthropes, sous le Directoire, le Consulat et l'Empire (1798-1813) et celui de V.-G. Martiny, Une loge maçonnique dans un couvent. Les Amis Philanthropes succèdent aux Carmélites au Sablon (1798-1865).

Une Loge très musicale

La Loge, qui organise annuellement, au profit de ses oeuvres philanthropiques, un prestigieux gala musical, a toujours entretenu une forte tradition musicale. 

Ce fait est manifeste dès 1798, année de sa création, comme en atteste le Tracé mentionné plus haut, qui signale de nombreuses interventions musicales.

Pour ses activités et cérémonies, elle a suscité la création de nombreux textes et/ou partitions, dont on trouvera quelques exemples sur ce site :

Elle poursuit également de nos jours avec bonheur la tradition chantante illustrée au XIXe par Defrenne.

 

ci-dessous : Godefroid Devreese, plaquette pour les Amis Philanthropes, bronze, 1905 - ci-contre : Devreese était membre de cette Loge, comme en atteste ce diplôme de Maître de 1889 (cliquez ici pour le voir en plus grand format), reproduit d'après cette page.

LE TRAVAIL EST LA LOI DE L’Humanité

médaille par Dolf Ledel (1893-1976) pour les AP en 1931.

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