La Tolérance

 

Nous avons trouvé cette chanson à la p. 93 du recueil du Tome premier (première année, 1839) du périodique maçonnique Le Globe.

Louis Rétif de La Bretonne

L'auteur Louis Rétif de La Bretonne ne doit évidemment pas être confondu avec le célèbre littérateur (dont une éventuelle appartenance maçonnique est considérée comme très peu probable par les spécialistes), dont il est probablement un neveu. 

Il était le Vénérable des Hospitaliers Français. Cette Loge, dont le comte Muraire était Vénérable d'honneur, avait été installée en 1821 en tant que n° 5 de la Loge de la Grande Commanderie ; elle était restée ensuite à la pointe du combat des Ecossais contre le Grand Orient, comme en témoigne sa Fête d'Ordre de 1841.

On trouve ici un Hommage au Soleil chanté par lui-même (mais cette fois en tant qu'Athirsata du Chapitre) lors de la Fête équinoxiale de printemps du Souverain Chapitre des Hospitaliers Français en 1840.

Il est aussi l'auteur d'une brochure (Le Vade Mecum Maçonnique, extrait des statuts, rituels et règlemens de l'ordre au rit écossais ; esquisse historique sur la maçonnerie. Discours d'initiation, poésies, etc.), qui en 1840 a fait l'objet d'une recension et d'un extrait dans le Tome 2 du Globe

On lit (p. 46), au Procès-Verbal de la Fête de l'Ordre et Installation du Très Puissant Lieutenant Grand Commandeur Comte de Fernig, en date du 29 juin 1841, au Suprême Conseil, pour la France et ses dépendances, des Puissants Souverains Grands Inspecteurs Généraux, Protecteurs, Chefs et vrais Conservateurs de l'Ordre, 33e et dernier degré du Rit Ecossais Ancien Accepté, qu'avec Montémont il a ajouté un charme de plus à la solennité en récitant des strophes de sa composition et qu'il était à ce moment 18e.

Mais en 1842, les Hospitaliers Français rejoignent le Grand Orient et deviennent les Hospitaliers français régénérés. A l'occasion de la séance d'installation de cette Loge, il chante son cantique le Prêcheur qui figure à la p. 98 du Tome 6 (1843) de la Revue maçonnique.

C'est à titre de Député de cette Loge qu'en 1843, lors de la Fête de l'Ordre du Grand Orient le 24 juin, il récite un poème de son cru intitulé L'inauguration du Temple maçonnique.

En 1852 il a publié une Epitre sur les causes de la situation morale et matérielle de la Maçonnerie française.

En 1853, il était Vénérable des Hospitaliers français régénérés

Il publia également des oeuvres profanes, comme Le Chroniqueur populaire, épisodes de l'armée d'Italie, disponible sur Gallica.

Après 3 couplets sur la tolérance en général, le 4e en évoque une application particulière : la Tolérance entre Rites. Particulièrement depuis l'irruption en France du REAA au début du XIXe (mais c'était déjà le cas au XVIIIe), la guéguerre des Rites était devenue la plaie de la maçonnerie française, à la grande consternation des maçons sincères.

Une consternante polémique

Dans la notice qui précède son Tuileur-expert en 1828, Bazot par exemple, après avoir dénoncé une polémique affligeante pour la dignité de l'institution, forme des vœux pour que 

... ces rivalités indignes de l'esprit de fraternité, de tolérance et de bon sens de l'ordre, cessent bientôt d'attrister la maçonnerie qui, parfaite dans ses trois premiers grades, et n'en demandant pas d'autres, tolérerait volontiers tous les grades supérieurs, s'ils voulaient, comme elle, concourir, par l'exemple de la paix et du bon ordre, à être utiles aux hommes, et à étendre dans le plus noble objet l'empire sacré de la fraternité universelle. 

De tels voeux furent parfois entendus mais jamais exaucés. Dans son Histoire des trois Grandes Loges de francs-maçons en France, Rebold écrit par exemple ceci (p. 160) à propos de l'année 1841 :

C'est à cette époque qu'a eu lieu la dernière tentative de fusion entre le G. Orient et le Sup. Conseil. A ce propos nous croyons devoir mentionner celles qui l'ont précédée.

Tous les maçons éclairés sont blessés, depuis que cette lutte dure, de l'anomalie que présente l'existence de deux obédiences rivales dans une institution dont le principe fondamental est basé sur la fraternité. Bien des efforts ont été faits pour amener une fusion entre le Gr. Orient et le Sup. Conseil ; mais ils ont tous échoué. La première tentative date du 26 mai 1819, époque à laquelle le Sup. Conseil était en sommeil. Des négociations furent entamées par les FF. Bouilly et Maugeret, du Gr. Orient ; les FF. baron de Baccarat et chev. Leroy, ex-préfet, furent désignés par le Sup. Conseil pour s'entendre officieusement avec ces frères. Des projets d'union furent rédigés de part et d'autre ; les représentants du Gr. Orient firent d'honorables concessions, qui auraieut dû être acceptées par l'autorité rivale ; mais les prétentions à la souveraineté et à l'indépendance absolue du rite écossais ancien et accepté, élevées, comme toujours, par les représentants de ce rite, firent rompre les négociations.

En 1826, de nouvelles démarches eurent lieu, et c'est encore le Gr. Orient, il faut lui rendre cette justice, qui prit l'initiative. Des propositions furent adressées au F. duc de Choiseul, qui occupait alors, sous le titre de Souv. Gr. Com., la présidence du Sup. Conseil. Les commissaires du Gr. Orient étaient les FF. baron Fauchet, ex-préfet, Lefebvre d'Aumale, Bénon, Bésuchet et Raveau; ceux du Sup. Conseil, les FF. général comte de Pully, Wuillaume, Guiffrey, Deslauriers et Dupin jeune. Le projet d'union présenté par le Gr. Orient différait beaucoup de celui de 1819, qui avait été rédigé dans un esprit maçonnique très-libéral ; celui de 1826 portait à un haut degré les traces du système de prédominance qui a si souvent caractérisé cette autorité. Le Sup. Conseil, y étant relégué à la position d'un simple atelier, fut justement blessé et le repoussa, mais cette fois-ci avec plus de raison qu'il n'avait rejeté celui de 1819.

En 1835, les essais de fusion furent renouvelés par le Gr. Orient sur les instances d'un grand nombre de membres de son obédience, qui déploraient la lutte sans cesse renaissant entre les deux pouvoirs. Le projet d'union présenté à cette époque, posant les mêmes conditions que celui de 1826, rencontra les mêmes prétentions, et l'on se sépara encore sans rien terminer.

Enfin, en 1841 [NDLR : après un épisode particulièrement conflictuel], une dernière tentative est faite auprès du Sup. Conseil par des membres influents du Gr. Orient et occupant un rang élevé. Si jamais il y avait eu espoir d'arriver à un résultat favorable, c'était cette fois. Il fut convenu de part et d'autre que les cinq premiers dignitaires de chaque autorité seraient chargés de préparer le projet d'union. En conséquence, le Gr. Orient nomma les FF. Bouilly, représentant du Gr. Maître, Tournay, Desanlis, Pinet et Tardieu, qui furent reçus le 28 mars au Luxembourg, par les dignitaires du Sup. Conseil, les FF. duc Decazes, le général de Fernig, Viennet, Guiffrey et Dupin jeune.

Les commissaires du Gr. Orient développèrent les points principaux du projet ; et, comme cette fois ils étaient animés des intentions les plus maçonniques et décidés à tous les sacrifices compatibles avec l'honneur et la dignité du Gr. Orient, ils firent tout ce qui dépendait d'eux pour ne pas blesser la susceptibilité et les exigences que le Sup. Conseil avait manifestées dans les précédentes tentatives de fusion ; mais tout leur bon vouloir vint échouer devant les déclarations impérieuses et inflexibles qui leur furent faites par les représentants du rite écossais : « Toute fusion ou réunion, dirent-ils, qui ne garantirait pas l'indépendance et l'autorité du Sup. Conseil est impossible; un mur d'airain, un obstacle invincible se trouve dans le gouvernement du Gr. Orient même, qui est une agglomération de présidents et de députés d'ateliers investis par eux du pouvoir de régir l'ordre et de juger leurs différends, tant en matière administrative que dogmatique ; tous les dignitaires étant soumis à l'élection par cette organisation, le Gr. Orient est condamné à n'exercer qu'un pouvoir éphémère, sans unité ni fixité; que chez eux, au contraire, tout le pouvoir est dans le Sup. Conseil, dont les membres sont inamovibles, et cette sage prévision du fondateur (Rebold écrit ici en note : On fait ici allusion au roi Frédéric le Grand, qui, comme on l'a vu au commencement de l'Histoire du Sup. Conseil, est faussement désigné comme chef de ce rite) constitue sa plus forte garantie, etc.; que, par conséquent, toute aliénation de leurs droits, toute fusion, tout mélange devenait irréalisable par ces motifs ; mais que, voulant concilier autant que possible tous les intérêts et arriver à un résultat, ils proposaient une voûte commune aux deux obédiences, surmontée d'un éminentissime Gr. Protecteur, qui devrait être un prince français, lequel aurait pour conseil les quatre premiers dignitaires, savoir : le Souv. Gr. Com., et son lieutenant, pour le rite écossais ; le Gr. Maître et son représentant, pour le rite moderne, le tout composant l'auguste tribunal chargé de maintenir l'indépendance réciproque, la concorde perpétuelle entre les deux obédiences; qu'au moyen d'un tel pouvoir, chacun conserverait son intégralité, sa constitution, ses règlements et son drapeau ; que chacun des pouvoirs se gouvernerait, s'administrerait séparément d'après ses lois et usages. »

Cette déclaration, nous devons le dire, a toujours été dans le fond la pensée des chefs du Sup. Conseil, et cela explique pourquoi toutes les négociations en vue de la fusion ont échoué ; la même pensée les guidait déjà, comme nous l'avons dit précédemment, lors de la conclusion du concordat de 1804, qui n'avait été rompu que parce que le Gr. Orient s'était aperçu, un peu tard, du rôle qu'on lui réservait, et qu'il n'avait pas voulu alors, avec raison, se suicider en reconnaissant la suprématie du rite écossais qui venait de naître.

Le rapport fait au Gr. Orient par le F. Desanlis, à l'assemblée du 6 novembre 1841, sur le résultat de cette tentative, est plein de dignité, de sentiments élevés ; il conclut ainsi :

« Puisqu'ils ne veulent pas de fusion, mais qu'ils sollicitent la libre fréquentation de nos ateliers, sans rien abandonner de nos droits et de nos pouvoirs, ouvrons-leur les portes de nos temples. Qu'ils viennent unir à nos prières leurs prières au Gr. Architecte du monde ; que leur encens s'élève avec le nôtre, mêlé et confondu, jusqu'au trône du Dieu de charité, de tolérance et d'amour ; et bientôt, malgré les murs d'airain, malgré les obstacles qu'on dit invincibles, pour un même Dieu, il n'y aura plus, nous le désirons, qu'une seule religion et qu'un seul autel. » 

Cette proposition, faite dans l'intérêt et pour la prospérité de la maçonnerie française tout entière et au nom des grands principes de l'institution, fut adoptée à une grande majorité par l'assemblée du Gr. Orient, qui à la suite de cette proposition prit la résolution suivante, propre à faire croire qu'à l'avenir, il suivrait une marche plus en rapport avec les principes qu'il proclamait : 

« Les ateliers de l'obédience du Gr. Orient de France peuvent recevoir comme visiteurs les FF. des ateliers du Sup. Conseil. Les maçons de l'obédience du Gr. Orient de France peuvent également visiter les ateliers du Sup. Conseil. » 

Cette décision eut un puissant effet sur les deux pouvoirs. Aussi les fêtes solsticiales qui eurent lieu, le 24 décembre au Sup. Conseil, et le 27 du même mois au Gr. Orient, furent-elles célébrées avec une grande pompe et avec une extrême courtoisie de part et d'autre à l'égard des dignitaires qui se rendirent en grand nombre aux invitations que l'un et l'autre pouvoir s'étaient faites réciproquement pour la circonstance. 

Ces bonnes résolutions ne manquèrent pas de faire long feu : dès l'année suivante, Rebold écrit (p. 174) :

Le Gr. Orient, toujours inspiré par la peur, et dans la crainte de quelques attaques de députations de loges, croit devoir prendre des mesures restrictives, contraires à la liberté et à l'égalité ; ainsi, le 4 mars, il arrête qu'il n'admettra plus de députations, sans avoir eu au préalable connaissance de l'objet de leur visite.

Et, dans un autre chapitre, il ajoute (p. 497) :

Voici comment le Sup. Conseil a répondu aux nobles procédés que le Gr. Orient a observés à son égard dans cette circonstance. Il adresse le 1er février à tous les ateliers de sa correspondance une circulaire dans laquelle, après avoir annoncé la décision du Gr. Orient, il leur faisait la recommandation suivante :

« Souvenez-vous que rien n'est changé, quant à notre obédience, à notre constitution, à notre rite. L'écossisme reste tout entier, sans altération. Quand vous serez en rapport, soit avec des loges, soit avec des maçons de l'obédience du Gr. Orient de France, vous continuerez à les accueillir avec tous les sentiments de concorde, d'union et de fraternité que la maçonnerie impose aux enfants de la lumière, sans toutefois que les grades dont ils peuvent être revêtus, leur donnent droit à des honneurs qui n'appartiennent qu'aux maçons investis de l'autorité par le Sup. Conseil. »

Ces restrictions prouvent que le Sup. Conseil a toujours été dominé par cette fâcheuse idée que seul il a le droit de conférer les hauts grades de l'écossisme et que par conséquent il a seul droit aux honneurs qui leur sont attribués. Un pareil aveuglement est vraiment déplorable.

En 1851 encore, ce cantique condamnait des divisions si nuisibles au devoir social de la maçonnerie.

La Tolérance

 

Air du fier Negrio.

 

Le temps s'enfuit, avec lui nos beaux jours ;
Frère, hâtons-nous, avant qu'il nous sépare,
D'en égayer le trop rapide cours
Qui vers l'immensité rapidement s'égare.
Fraternité, reprends ton noble essor ;
Cède à nos vœux, candide Confiance ;
Comme au printemps de l'antique âge d'or
Le franc-maçon va répéter encor :
Vive, vive la tolérance ! (bis)

 

Ce mot-là seul fait palpiter mon cœur ;
Son doux pouvoir grandit et nous maîtrise.
De nos progrès il est l'avant-coureur,
Gardons-nous désormais d'avoir d'autre devise ;
Rallions-nous sous ce vieil étendard
Qui dans les airs flotte avec assurance,
Son vif éclat frappe chaque regard ;
Au loin l'écho redit de toute part :
Vive, vive la tolérance ! (bis)

 

Malheur à qui ne sait pas tolérer,
II est si doux d'oublier une injure.
Qu'on doit jouir lorsqu'on peut triompher
Du sophiste trompeur qui prêche l'imposture.
Embrassons tous cette divine loi,
Soumettons-lui notre frêle existence ;
Elle a reçu nos serments, notre foi,
Pour la fêter répétez avec moi :
Vive, vive la tolérance !
(bis)

 

Mais, dites-vous, on a parlé de rits !
Respectons-les, telle est notre maxime,
Vers l'unité ramenons les esprits,
Et du sage toujours suivons l'élan sublime.
Dans nos projets soyons persévérants ;
Vers l'avenir marchons avec constance,
Aux malheureux consacrons nos instants,
Et répétons sans cesse à nos enfants :
Vive, vive la tolérance !
(bis)

 

RÉtif De La Bretonne

Vénérable de la loge des Hospitaliers-Français.

Nous n'avons encore trouvé aucune trace d'un air dit du fier Negrio.

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