Les Maçons

(Patience ! L’avenir est toujours là)

 

Dans le Tome VI (années 1825 à 28) des Annales chronologiques, littéraires et historiques de la maçonnerie des Pays-Bas à dater du 1er janvier 1814 (accessible via la digithèque des bibliothèques de l’Université Libre de Bruxelles), Auguste de Wargny reproduit (pp. 747-790) le compte-rendu de la Saint-Jean d'Eté 1827 chez les Ecossais de Paris et publie (pp. 791-2) ce cantique chanté par Deslauriers (qui, 32e, était ce jour-là suppléant du Premier Grand Surveillant) au Banquet qui suivit.

Il semble que le cantique vise à ironiser sur le conflit entre le Suprême Conseil (dont Deslauriers était membre) et le Grand Orient, conflit qui se trouvait à ce moment, une fois de plus, dans une phase particulièrement aiguë et qui avait d'ailleurs fait l'objet principal des discours au cours de la journée.

Le dernier couplet fait vigoureusement allusion à la guerre d'indépendance grecque.
 

L'indépendance grecque

ὴ Ελευθερία ή θάνατος (la liberté ou la mort)

La guerre d'indépendance grecque (1821-1829) fut suivie avec passion en Europe et largement soutenue par l'opinion publique.

Depuis assez longtemps, les peuples disaient : « Grèce ! 
Grèce ! Grèce ! Tu meurs. Pauvre peuple en détresse, 
A l’horizon en feu, chaque jour tu décroîs. 
En vain, pour te sauver, patrie illustre et chère, 
Nous réveillons le prêtre endormi dans sa chaire, 
En vain nous mendions une armée à nos rois. »

Victor Hugo

N’es-tu plus le Dieu des armées ?
N’es-tu plus le Dieu des combats ?
Ils périssent, Seigneur, si tu ne réponds pas !
L’ombre du cimeterre est déjà sur leurs pas !
Aux livides lueurs des cités enflammées,
Vois-tu ces bandes désarmées,
Ces enfants, ces vieillards, ces vierges alarmées ?
Ils flottent au hasard de l’outrage au trépas,
Ils regardent la mer, ils te tendent les bras.

Lamartine

ci-contre : un des moteurs du déclenchement de l'insurrection grecque fut la Filikí Etería, société secrète créée sur le modèle de la maçonnerie et du carbonarisme et qui avait pour devise La liberté ou la mort, devise qui est devenue ensuite celle de la Grèce. On y prêtait serment entre les mains d'un pope.

De sensibilité très philhellène, les maçons français et belges se sentaient particulièrement solidaires du peuple grec opprimé, comme on peut le voir par exemple ici, ici, ici et ici, et comme l'indiquent ces vers (honorant le Frère Fabvier, libérateur comparé à Lafayette) du poème Le présent et le passé récité par le Frère Coudret lors de la Fête maçonnique et patriotique donnée à La Fayette à Paris en 1830 :

Ici, des fils d’Omar bravant l’aveugle rage,
Lafayette nouveau, Fabvier, par son courage,
Court délivrer la Grèce et le berceau des Dieux.

On trouve d'autres témoignages de cet intérêt dans l'article de Walter Bruyère-Ostells, L'art royal et ses ouvriers au tournant du siècle : le Premier Empire et la Restauration - Réseaux maçonniques et para-maçonniques des officiers de la Grande Armée engagés dans les mouvements nationaux et libéraux paru en 2006 dans le n° 72 des Cahiers de la Méditerranée, qui signale notamment que :

  • A Perpignan, un rapport de police confirme que la loge maçonnique l’Union a ouvert une souscription en faveur des Grecs ;

  • A Paris, en 1828, la loge de la Vertu et des Arts (ndlr : il s'agit probablement plutôt du Temple des Vertus et des Arts) crée un Chant pour le départ des Français en Morée.

Voir ici sur l'air (tiré de l'opéra d'Auber, le Maçon, qui, malgré ce titre, n'a rien de maçonnique).

  
cantique du Frère Deslauriers.

 

Les Maçons

 

Air : Les amis sont toujours là.

 

Joyeux maçons, vite à l’ouvrage !
Nos travaux seront raffermis
Plaignons l'erreur qui nous outrage ;
Pardonnons à nos ennemis :
Car c'est ainsi que la science
Se venge de qui l’exila.
Patience, patience !
L’avenir est toujours là (ter)

 

Des bords de l'Ebre à la Morave,
Nous voyons plus d'un ouvrier
Faire le grenier de la cave,
Ou bien la cave du grenier.
Aux préjugés, à la licence
La Raison mettra le holà !
Patience, patience !
L’avenir est toujours là (ter)

 

En bâtissant sur bonne base, 
Assurons les derniers réduits :
Bientôt le comble nous écrase
S'il n'a de solides appuis ;
Comme aussi certaine existence
Tint aux ciseaux de Dalila.
Patience, patience !
L’avenir est toujours là (ter)

 

Devenus grands, des contre-maîtres
Qui jadis ne tenaient à rien,
Aujourd’hui protègent les traîtres
Et repoussent l'homme de bien.
Ils bâtissent sans conscience
Près de C[h]arybde et de Scylla....
Patience, patience !
L’avenir est toujours là (ter)

 

La Grèce en deuil, loin de construire,
Peut s'engloutir sous ses remparts ;
Le musulman cherche à détruire
Jusqu'au souvenir des beaux-arts.
Mais il est une providence
Contre tout moderne Attila. 
Patience, patience !
L’avenir est toujours là (ter)

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