Chanson dite anti-maçonne

(protestation burlesque contre l’exclusion des femmes)

Ces deux pages, que nous avons mises en vis-à-vis pour mieux en permettre la comparaison (on remarquera l'identité des rimes), font directement suite à des Couplets pour et contre les francs-maçons à la page précédente et sont dans le même esprit. Elles constituent les pages 88 et 89 de la Muse maçonne de Du Bois en 1773.

C'est sur une page du très riche site Poèmes satiriques du XVIIIe siècle que nous en avons trouvé, sous les références $6744 et Bibliothèque Mazarine, manuscrit de Castries 3989, pp. 310-11, encore une autre version, plus ancienne puisque datée de 1747, dont nous avons reporté le texte dans la colonne centrale.

Il ne présente aucunement le style agressif qui caractérise généralement les chansons antimaçonniques. : c'est plutôt un point de vue ironique et plein de verve sur la non-admission des femmes en maçonnerie, sujet qui faisait déjà beaucoup jaser à l'époque (voir par exemple ici l'extrait de la cantate de Clérambault que vous pouvez entendre en cliquant ici). Et ce n'est guère méchant, si bien que, comme le dit Du Bois dans sa note de bas de page, elle amusait plus les maçons qu'elle ne les faisait enrager, et n'était peut-être anti-maçonne que par antiphrase : le seul reproche qui y soit fait à la maçonnerie est celui d'en écarter les dames, ce dont généralement les maçons eux-mêmes se faisaient plutôt gloire. 

Dans le chansonnier maçonnique du XVIIIe, nombreuses sont en effet les chansons qui défendent cette option et s'attachent à la justifier par des arguments tels que ceux de la parodie ci-dessous.

Mais beaucoup aussi leur font pendant en la critiquant et en la jugeant d'un autre temps (par exemple : O mes amis, mes frères / A quoi donc pensiez-vous / Lorsque des lois sévères / Ecartoient loin de nous / Ce sexe doux et tendre ; en 1781, on trouve Le Maçon, trop sévère / Jadis, dans ce séjour / Refusait la lumière / Aux Belles, à l'Amour ; et en 1782, Qu'ils étaient dupes nos aïeux ! / Lorsque, pour chercher la lumière / Ils avaient défendu par une loi sévère / De se servir de deux beaux yeux).

Quelle est cette secte nouvelle
Qui fait ici tant de fracas ?
Pour moi, j’en fais fort peu de cas
S’il faut en éloigner les belles.
Non, non, non, sans les belles,
Non,
Je ne veux point de vos truelles,
Non, non, non, sans les belles,
Non,
Je ne serai point franc-maçon.

 

J’entends et la blonde et la brune
Ici tout bas en murmurer.
Il fallait les incorporer
Si vous vouliez faire fortune.
Non, non, non, sans les belles,
Non,
Je ne veux point de vos truelles,
Non, non, non, sans les belles,
Non,
Je ne serai point franc-maçon.

 

Je ne porterai point d’équerre,
Ni d’échelle à votre atelier.
Je ne veux d’autre tablier
Que celui du Dieu de Cythère.
Non, non, non, sans les belles,
Non,
Je ne veux point de vos truelles,
Non, non, non, sans les belles,
Non,
Je ne serai point franc-maçon.

 

La note de bas de page fait allusion à la règle selon laquelle il est interdit de faire rimer une syllabe plurielle (i. e. se terminant par s, x ou z) et une syllabe singulière.

Il n'y a malheureusement aucune indication d'air, mais le Eh ! non, non, non peut faire penser (la métrique n'est cependant pas similaire) au Eh ! bon, bon, bon de cet air-ci ou à l'air Eh ! bon, bon, bon, que le vin est bon, ou encore à un air du Platée de Rameau. On notera que Eh ! bon, bon, bon, que le vin est bon était connu de Du Bois, qui l'avait déjà utilisé dans la Lire Maçonne (p. 126).

On pourrait aussi penser l'air chanté par un berger dans le prologue de l'opéra Bellérophon (1679) de Lully sur un texte de Thomas Corneille et Fontenelle :

Pourquoy n'avoir pas le coeur tendre?
Rien n'est si doux que d'aimer ;
Peut-on aisément s'en défendre ?
Non, non, non, l'amour doit tout charmer.
Que sert la fierté dans les belles.
Tout aime enfin à son tour, 
Veut-on des rigueurs éternelles? 
Non, non, non, rien n'échappe à l'amour.

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