Le Quart du Maçon

Cliquez ici pour entendre l'air de la partition ci-dessous, séquencé par Alain la Cagouille

Cliquez ici pour l'entendre l'air mentionné, dans la version des Chants et chansons populaires de la France

Ce cantique est le 18e du recueil de Dejardin en 1901.

Au sujet de cette chanson, Dejardin mentionne que ce chant a servi à l'inauguration du Temple des Philadelphes à l'Orient de Verviers et que le texte en est du Frère Mullendorff, père du bourgmestre actuel (en 1901 donc) de la Ville de Verviers (voir l'encadré en bas de page).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Maçons le Maître nous appelle
Gaîment reprenons nos travaux.
Apprêtons ciseaux et marteaux
Equerre compas et truelle
Alerte ! resserrons nos rangs
Et s'il nous manque quelque Frère
En bons maçons nous saurons faire
Un quart de plus pour les absents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Choeur

En bons maçons nous saurons faire
Un quart de plus pour les absents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 2

Je vois d'ici la bande noire
Festoyer quelques renégats
Je les entends dans leurs ébats
Un peu trop tôt chanter victoire
Perdre deux ou trois fainéants
Voilà bien une grande affaire
En bons ...

3

Mais le destin et les affaires
Nous prennent maint braves maçons
A ces fidèles compagnons
A leur bonheur buvons mes frères
La tâche de ces bons enfants
Ne restera pas en arrière
En bons ...

4

De nombreux et vaillants adeptes
Bientôt viendront grossir nos rangs
Et mêler leur voix à nos chants
Pratiquer nos sacrés préceptes
Pour vaincre les intolérants
Ennemis nés de la lumière
Tout comme ils sauront faire
Un quart de plus pour les absents.

5

Suivons le fleuve de la vie
En chassant soucis et chagrins
Amitié bonheur gais refrains
Voilà notre philosophie
Loins de fuir les doux sentiments
Si quelque soeur manquait de frère
En bons ...

6

A la colonne inébranlable 
Du Temple que nous chérissons/consacrons
Par trois fois vidons nos canons
Buvons à notre vénérable
Nous savons que dans tous les temps
Soit au banquet ou soit en chaire
En vrai maçon il sait bien faire
Un quart de plus pour les absents.

Le 2e couplet marque déjà une tendance à l'anti-cléricalisme, tendance déjà assez manifeste à l'époque dans les Loges de la province de Liège, mais qui sera bientôt généralisée et radicalisée par la condamnation épiscopale.

Au 6e couplet, l'alternative entre le Temple que nous consacrons et le Temple que nous chérissons montre bien que, conçu pour une circonstance particulière, ce chant est resté utilisé par la suite.

L'air donné ci-dessus comme celui de Elle aime à rire, elle aime à boire est bien identique à celui figurant à la page consacrée à cette chanson.

Il est à remarquer que Fesch signale Le quart du maçon comme une poésie de François Mullendorff, ayant fait l'objet en 1833 d'une impression in-quarto. La mention du 27 sivan 5833 (il était fréquent à l'époque d'utiliser le calendrier hébraïque pour les datations maçonniques, en tout cas pour ce qui concerne le jour et le mois) confirme d'ailleurs la datation de cette chanson à 1833. 

Et c'est effectivement le 28 avril 1833 que fut inauguré au Quai des Maçons le Temple des Philadelphes (photos ci-contre et ci-dessous, à des époques différentes), construit sur les plans du célèbre architecte verviétois Henri Douha, et qui sera utilisé jusqu'en 1974.

Cette inauguration eut d'ailleurs lieu dans des circonstances particulières : le Grand Orient de Belgique était en train de se constituer, mais sans la participation des Philadelphes. C'est donc une Loge d'Aix-la-Chapelle, Zur Beständigkeit, qui participa à la cérémonie (sous son ancien nom de la Constance, cette même Loge avait en 1811 installé la Loge des Philadelphes ; à l'époque toutes deux étaient membres du Grand Orient de France).

 

 

Une dynastie maçonnique verviétoise : la famille Mullendorff 

Eugène-Jean Mullendorff (1834-1920), conseiller communal de Verviers depuis 1865, Echevin des Finances en 1867, membre du Conseil provincial de Liège et parlementaire, fut effectivement le Bourgmestre de Verviers de 1891 à 1920. Une avenue de la ville porte son nom. Il prononça en 1890 l'éloge funèbre de Karl Grün.

Quand éclata la guerre en 1914, s'étant rendu à Bruxelles pour la séance de la Chambre, il traversa - à 80 ans - les lignes allemandes pour rentrer à Verviers. 

Selon l'article cité plus loin, qui considère ce trait de belle tolérance comme tout à l'honneur du franc-maçon qu'il était, il souhaita en 1919 que des fonds apportés indistinctement par toutes les classes de la population verviétoise fussent utilisés à la création de deux bourses d'études dont l'une réservée aux écoles communales et l'autre aux écoles libres.

Initié en 1869, il fut à partir de 1872 trois fois successivement Vénérable des Philadelphes

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Son frère Charles Mullendorff (1835-1905), industriel à Verviers, secrétaire de la chambre de commerce et son président à plusieurs reprises, a été un des signataires d'un appel aux libéraux belges de janvier 1870, qui prônait notamment l'extension du droit électoral, le développement de l'enseignement public, l'instruction obligatoire, la révision de la loi de 1842 sur l'instruction primaire et des lois sur le temporel des cultes, sur le serment et sur les cimetières. Toutes idées largement soutenues alors dans les milieux maçonniques. En 1867, il est 2d Surveillant des Philadelphes mais en démissionne l'année suivante pour participer à la fondation du Travail, dont il sera Vénérable de 1872 à 1874 (soit, détail pittoresque, en même temps que l'est son frère de sang dans la Loge rivale !)

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Leur soeur Françoise épousa Christian Beck (1820-1877), professeur de mathématiques à l'Ecole Industrielle, initié aux Philadelphes en 1846 et ensuite membre des Amis du Progrès, Loge fondée par les modérés en réaction contre les plus radicaux des Philadelphes et qui se regroupa avec eux au moment de leur réintégration au Grand Orient. Il semble qu'ils soient les grand-parents de l'écrivain Christian Beck (Verviers 1879-1916), lui-même maçon (aux Amis Philanthropes n° 2), et père de la romancière Béatrice Beck (1914-).

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Un article de Jules Mersch paru dans la Biographie nationale du pays de Luxembourg (et accessible en entier sur le web), et particulièrement la partie de cet article concernant la branche belge de cette famille luxembourgeoise, nous a permis d'identifier ce Frère Mullendorff, le père des trois précités (il eut six enfants) et l'auteur de la chanson, comme étant François Mullendorff (1799-1858). 

Celui-ci, né à Luxembourg, fils de Jean-Pierre Mullendorff (1767-1853) qui était commissaire de police à Luxembourg, s'installa en 1820 à Verviers, où il s'établit à son compte en 1822 et se maria en 1824. D'après l'article précité, qu'à partir d'ici nous citons largement, son commerce, d'abord fort modeste, se développa à vue d'oeil et bientôt il devint un personnage réputé tant par la probité qui présidait à la conclusion de ses grosses affaires que par les services qu'il était appelé à rendre à sa ville d'élection. Il fut actif pendant la Révolution belge de 1830 et devint échevin ; en 1841, il entrait au tribunal de commerce dont il deviendrait plus tard président. C'est sur son instigation que furent créées l'Ecole de tissage et de dessin industriel ainsi que l'Ecole des chauffeurs. Grand patron, il avait des idées sociales avancées et il essaya de défendre les intérêts de la classe ouvrière en concevant le projet d'une Caisse de secours et de retraite pour les ouvriers verviétois et en lançant un (éphémère) Journal des travailleurs

Membre des Philadelphes, il se trouva, dans les années 1850-60, en conflit avec Joseph Goffin, lequel était partisan d'une radicalisation politique très extériorisée de la maçonnerie belge et qui fut responsable de profondes divisions dans la maçonnerie verviétoise et, en 1858, de la radiation provisoire de la Loge par le Grand Orient que les Philadelphes avaient finalement intégré en 1854.

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Un frère de François, Jean-Pierre (1796-1849), qui avait créé à Luxembourg une troupe théâtrale, s'installa à Liège comme libraire en 1830. Nous ignorons s'il fut également maçon.

Il est à signaler que Marie J. B. de Mullendorff, greffier de la Chambre des Comptes à Bruxelles, figurant en 1786 au Tableau de la Loge bruxelloise l’Union, est un parent éloigné des précédents (ils descendent tous de Théodore Mullendorff, né pendant la Guerre de Trente Ans).

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