Filles du Ciel ...

Cette feuille n'est pas datée, mais elle fait partie d'un lot de trois documents manuscrits (sans doute de la même main), dont l'un (concernant la Loge des Vrais Amis Réunis à l'Orient de Nice, voir ci-dessous) porte la date de 5797.

Sa partie droite comprend, en bas, le début d'une chanson bien connue (qui se poursuit au verso de la feuille) et, en haut, quelques vers qui semblent bien constituer une chanson à notre connaissance inédite et dont, sauf erreur, nous n'avons pas encore pu voir de version imprimée :

Filles du Ciel aimables déïtés,
Hâtez-vous descendez de la voûte azurée
A la voix de la vérité
Accourez immortelle Astrée

Venez pour diriger nos travaux innocents
Et par votre présence animer notre zèle
Venez recevoir nos encens

Vous trouverez la lumière Eternelle
Ce don si précieux, le plus parfait des Cieux
Le séjour des mortels n'infecte point ces Lieux
Le temps de l'âge d'or icy se renouvelle

Filles du ciel ....

En face, à la partie gauche de la feuille, on trouve quelques vers, cette fois profanes, mais bâtis exactement selon la même structure (10-12-8-8 / 12-12-8 / 10-12-12-12 / reprise du 1er couplet). Le Frère poète les a-t-il notés là pour les utiliser comme modèle pour sa versification ? 

Nous avons pu les identifier comme étant de Pierre Laujon à la scène IV du ballet-héroïque en 1 acte (1776) Æglé :

paisible bois verger délicieux
j'abandonne pour vous le séjour du tonnerre
j'ai laissé mon rang dans les cieux
tous mes plaisirs sont sur la terre.

Æglé me croit berger que mon cœur est flatté
Mon rang est un secret qu'il faut que je lui cèle
Mais après ma félicité.

Comme berger je goûterai près d'elle
Les plaisirs de l'amour et de l'égalité 
Mais si je me souviens de ma divinité
Ce sera pour brûler d'une ardeur éternelle

paisible bois verger délicieux
j'abandonne pour vous le séjour du tonnerre
j'ai laissé mon rang dans les cieux
tous mes plaisirs sont sur la terre.

Même si cet air a connu à l'époque un très grand succès, nous n'avons pu encore en trouver la partition, qui est de Pierre de la Garde.

Le thème d'Astrée et de l'Age d'Or est une constante dans le chansonnier maçonnique du XVIIIe. Et, même si elle est de l'époque post-révolutionnaire, la chanson reste bien dans le ton et le style de celui-ci.

la Loge niçoise des Vrais Amis Réunis

On trouve diverses informations sur cette Loge dans l'article d'Yves Hivert-Messeca, La franc-maçonnerie dans le département des Alpes-Maritimes sous le consulat et l'empire :

... la présence de nombreux militaires et fonctionnaires français va permettre la naissance de la première loge maçonnique française à Nice. En 1796/97, plusieurs maçons (André ? Chartroux ? Teissière ?) fondent la loge "Les Vrais Amis Réunis" sous la présidence de Pierre-Dominique Garnier, alors général de division. Peut-être divers militaires et fonctionnaires maçons s'étaient reconnus comme tels au sein de divers clubs mis en place par les autorités révolutionnaires ? Cette loge autonome entre en contact avec le Grand Orient de France pour régulariser sa situation. Après diverses discussions, elle est officiellement "allumée" (créée) "au nom et sous les auspices du Grand Orient de France" le 10 Novembre 1801.

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A la loge "Les Vrais Amis Réunis", le "premier maillet" (présidence) est tenu successivement par le général Garnier (1796 à 1800, 1804-1806 ?, 1809), le général Favereau (1801), J. Jaume (ancien président de l'administration départementale en l'an VIII (1803). A. Spreafico, négociant né à Lyon (1807), Debutet - neveu et "secrétaire intime" du préfet Dubouchage - (1808), puis l'Antibois P. Edmond, chef de bureau à la préfecture (1810 à 1814 ?)

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La loge "Les Vrais Amis Réunis" est composée de 40,5 % de militaires et de 12,7 % de fonctionnaires moyens ou supérieurs, soit plus de la moitié de l'effectif (53.2 %). Les "bourgeoisies" (négociants, courtiers, propriétaires, bourgeois, négociants, professions médicales et juridiques) en représentent 32,6 %. Les métiers les plus modestes (artisans, petits commerçants) ne représentent que 8 % des Frères. La loge a compté dans son existence onze "Frères à talent" (artistes ou musiciens), en particulier le peintre Paul-Emile Barberis et le futur sociétaire de la Comédie Française en 1828, Charles-François Grandin dit Grandville.

La loge "Les Vrais Amis Réunis" se distingue par les revenus de ses membres. C'est la loge la plus "aisée" des Alpes-Maritimes et le montant des capitations a contribué à maintenir cet "élitisme social". Elle se caractérise aussi par le faible pourcentage de Frères nés dans les Alpes-Maritimes (24,7 %) et un assez fort pourcentage de maçons nés hors de France (22,8 %). 55 maçons sont nés hors des frontières françaises actuelles (même si au moment de leur entrée en maçonnerie, leur lieu de naissance se situe dans un des 130 départements du Grand Empire, ils sont comptabilisés comme nés hors de France) : 31 sont des "italiens", surtout piémontais (15) et liguriens (7) ; on trouve également 10 Suisses, 4 de la future Belgique, 4 des villes allemandes, 3 Maltais, 1 Danois, 1 Britannique et 1 Espagnol. De plus, il semblerait que durant les quelques mois qui suivent la Paix d'Amiens, des Britanniques aient été initiés ou aient été reçus comme visiteurs dans la loge niçoise. "Les Vrais Amis Réunis" sont bien une loge cosmopolite.

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Les premiers tableaux de la loge "Les Vrais Amis Réunis" montrent qu'un grand nombre de membres de cet atelier sont des cadres de la Révolution, en particulier des anciens membres de la "Société Populaire des Amis de la Liberté et de l'Egalité" (1792/95).

On peut ajouter que Masséna en fut Vénérable d'honneur et que Jean Joseph Dalmas Balmossière-Chartroux (1761-1800), fils d'un des fondateurs, en fut membre.

Commme mentionné plus haut, un des documents de ce lot porte la date de 5797 : c'est un brouillon de formule de diplôme de Maître, émanant de la Loge en question, les Vrais Amis Réunis à l'Orient de Nice. Vu son intérêt, nous avons estimé utile de le présenter ici, même s'il n'a rien à voir avec la chanson maçonnique.

La Loge est entrée en activité en 1796 ou 97, mais, comme indiqué ci-dessus, ce n'est que quelques années plus tard qu'elle s'intégra au Grand Orient de France.

L'intérêt de ce document est donc de dater de l'époque précédant cette intégration. Si le reste du texte est classique, la formule inaugurale est en effet, de ce fait, différente et mérite d'être relevée :

A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, au nom et sous les auspices de la République française et de toutes les Loges Régulières de France, d'un lieu très éclairé, très fort, très Régulier où règnent la Vertu la Concorde et l'égalité.

Quelques mots semblent avoir été biffés dans ce texte : nous les avons laissés en maigre. 

Le fait de placer les Travaux sous les auspices, non d'une Obédience maçonnique comme il est d'usage, mais d'une entité profane, à savoir la République française, est significatif. Il faut se rappeler qu'à l'époque :

Il faut noter qu'à la même période une Loge bruxelloise disait travailler sous la protection de la République Française.

On peut voir en exergue du texte la devise Veritas - Concordia - Aequalitas (qui est aussi - indice d'un lien de filiation ? - celle de la Loge toulousaine homonyme, laquelle était active à la même date). On remarquera la parenté entre cette devise et la formule ci-dessus (où règnent la Vertu la Concorde et l'égalité), la seule différence étant (s'agirait-il d'une erreur de traduction du rédacteur ?) la Vertu à la place de Veritas (la Vérité).

Signalons que le troisième document du lot est une liste descriptive des 7 péchés capitaux, suivie de l'énumération des remèdes propres à les combattre.

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