Couplets d'un jour d'élection,

Chantés en Grande Loge en 1756

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Ces pages sont les pp. 452 à 455 de La Lire Maçonne (édition 1766 ; la chanson figurait déjà, p. 333, à l'édition 1763). L'édition de 1787 ne reprend plus dans le titre la mention Chantés en Grande Loge en 1756.

 

          

           

  COUPLETS 

D'UN JOUR D'ÉLECTION,

 Chantés en Grande Loge en 1756.

Quel sujet plus favorable,
Pour animer nos Chansons !
Nous voyons à cette table,
Le succès de nos leçons.
Confirmons notre suffrage,
Par un chorus de nos voix,
Et que chacun rende hommage,
A l'objet de notre choix.
Il nous fait voir le grand Homme
Brillant moins par les honneurs,
Auxquels l'équité le nomme,
Que par l'éclat de ses mœurs.

 

Qu'une plume mercenaire
Vante l'auteur de nos maux,
Qu'un illustre téméraire
Soit mis au rang des Héros ;
Trop vile et servile plume
Vous n’élevez qu'un fétu :
Notre encens ici ne fume
Qu'à l'autel de la vertu.
D'un faux brillant le prestige
Ne fascine point nos yeux ;
L'Equité seule dirige
Nos suffrages précieux.

 

Alexandre eut la victoire
Comme attachée à son char ;
Jusqu'au comble de la gloire,
On vit s’élever César.
Mais ces héros sanguinaires,
Au Temple de la raison,
Sont des hommes ordinaires,
Près de Locke et de Newton.
Ce Temple est notre retraite;
Le Sage y doit commander :
Notre attente est satisfaite,
D'H..... va présider.

 

Oui, très-illustre Grand-Maitre,
Vos talents nous sont connus :
Vous serez notre Grand-Prêtre
Dans le Temple des vertus.
Puisse, au gré de votre envie,
Le Maçon vous imiter !
Vous tracez un plan de vie,
Qui le fera respecter.
Père, Ami, Sujet fidèle,
Juste, tendre, officieux,
Tel il sera, sous votre aile,
Que vous êtes à ses yeux.

 

Dans le banquet des sept Sages,
On y disait de bons mots ;
Imitons leurs bons usages,
Qu’en vain combattent les sots.
Vous nous retracez ces Maîtres,
Et sous vos lois, le Maçon
Ne connaîtra point de traitres,
Que n'attaque sa raison.
Par votre Philosophie
Nous devrons vivre contents ;
Et notre douce harmonie
Nous fera braver les temps.

 

Que le compas et l'équerre
Soient toujours entre vos mains,
Que la perpendiculaire 
Égalise les humains.
Que la discorde et la haine
S'éloignent de ce séjour :
Un de vos regards, sans peine,
Y fixe à jamais l'amour.
Guidé par la tempérance
Bacchus marche sur vos pas ;
Sans redouter l'abondance,
Il n'offre que des appas.

 

Qui dit Franc-Maçon, dit Homme,
Ami de l’humanité,
Qui du Japon jusqu'à Rome
Fait régner l’égalité.
Nous en aurons l'avantage,
Sous votre empire enchanteur ;
Puissions-nous voir, d'âge en âge,
Croître pour nous ce bonheur !
Nous en jouirons sans doute,
Conformément à nos vœux,
Si le Ciel, qui les écoute,
Vous donne des jours heureux.

D'après le contexte, le nouveau Grand Maître (des Pays-Bas) désigné par les initiales D'H est normalement le baron Van Aerssen Beijeren, élu en 1756. 

Dans son ouvrage The masonic muse. Songs, music and musicians associated with Dutch freemasonry: 1730-1806, MALCOLM DAVIES signale que celui-ci était seigneur d'Hoogerheijde, ce qui nous semble expliquer cette abréviation.
 

Cette interprétation nous semble en tout cas nettement moins fantaisiste que celle proposée par Margaret Jacob, qui dans Les Lumières radicales, Panthéistes, Républicains et Francs-maçons (Ubik Editions) imagine (p. 373), en sortant la phrase de son contexte, qu'il puisse s'agir du ... baron d'Holbach (tout en reconnaissant à la même page qu'il n'existe pas de preuve liant d'Holbach au mouvement maçonnique).

Aux pages 118 à 122 de cet ouvrage, Davies effectue, couplet par couplet, une analyse approfondie de ce texte et de sa portée sur le plan de la pensée maçonnique de l'époque.

Cette élection de Aerssen Beijeren en 1756 faisait suite à l'éviction de son prédécesseur, le Grand Maître par intérim Dagran. Cette éviction traduisait une volonté de réforme : dans Le Grand Orient des Pays-Bas, aperçu historique (Maçonnieke Stichting Ritus en Tempelbouw, La Haye, 2006), M. J. M. de Haan signale que la Grande Loge a, dans l'une de ses premières résolutions ... pris explicitement ses distances avec les années précédant 1756, envisageant même d'invalider tout ce qui s'était passé antérieurement.

Le Grand Orient des Pays-Bas considère d'ailleurs 1756 comme la date de sa fondation (ci-dessous, faïence de Delft pour son 175e anniversaire en 1931, deux faces d'une médaille pour le 225e en 1981 et FDC avec l'effigie du premier Grand-Maître National ; voir ici concernant la célébration de ce bicentenaire). Tout ce qui précède a été soigneusement gommé.

                                                    

Cela peut expliquer que, contrairement aux usages les plus généralisés (voir par exemple les couplets pour l'élection suivante), aucun des couplets ne soit ici consacré au traditionnel hommage au Grand Maître sortant.

La référence (aussi prestigieuse que valorisante) aux sept Sages de la Grèce se retrouvera ultérieurement dans le chansonnier maçonnique, par exemple ici et ici.

On retrouve cette chanson dans la Muse maçonne de 1806 (pp. 278-281). Là, c'est H... qui va présider.

 

Quelques années plus tard (en 1768), on trouve exactement (jusqu'à l'usage des italiques !) le même texte dans la Lyre maçonne ou recueil choisi des plus jolies chansons dédiées à M. le M... de G... (ndlr : Marquis de Gages) Grand-Maître des Loges jaunes dans les Pays-Bas, pp. 172-5, à la différence qu'ici il est intitulé Couplets d'un jour de l'Election du Grand-Maître le M. de G... dans les O J (Orients Jaunes) et que, au dernier vers du 3e couplet, il est évidemment mentionné : De G... va présider plutôt que D'H ... va présider.

Les images ci-dessus proviennent de l'édition de ce chansonnier que détient, sous la cote Bibliothèque municipale de Lyon B.510022, la Bibliothèque municipale de Lyon, qui nous a obligeamment autorisé à faire usage sur ce site des clichés (crédit photographique Bibliothèque municipale de Lyon, Didier Nicole) qu'elle nous en a fournis, clichés que nous avons adaptés pour les mettre aux normes du présent site.

Ici non plus, il ne faut pas s'étonner qu'il n'y ait pas d'hommage au prédécesseur, puisque Gages fut le premier Grand Maître de l'organisation dont il était l'initiateur dans les Pays-Bas autrichiens.

On remarquera ci-dessus que les trois points triangulés dans les abréviations maçonniques sont déjà en usage, alors qu'en 1782 à Paris, Honoré utilisera encore (peut-être pour des raisons de disponibilité typographique ?) les trois points alignés. Chose amusante, même le mot Marquis (pourtant bien profane), et contrairement à Gages, est également abrégé ainsi (à une autre page - 225 -, ce seront les trois mots Monsieur, Marquis et Gages qui seront même ainsi abrégés). Cet abus de la triponctuation maçonnique pour des mots profanes est fréquent à propos de Gages.

 

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