Deux Epîtres de l'Attaignant

Personnage quelque peu libertin, l'abbé l'Attaignant (1697-1779), poète et chansonnier, était membre, avec les deux Crébillon, Helvétius et Rameau notamment, du premier Caveau fondé en 1729 et qui réunissait chaque mois, dans un cabaret du carrefour de Buci, une joyeuse bande pour des dîners chantants.

C'est lui qui composa J'ai du bon tabac et certains lui attribuent aussi Il aime à rire, il aime à boire

Son poème (passablement leste) le plus célèbre est Le mot et la chose, qui fut pastiché dans la Lyre maçonnique en 1810 et sur lequel il dut y avoir une musique, mentionnée comme air dans une autre chanson, mais que nous n'avons pas retrouvée.

Comme l'indique une riche page consacrée à la chanson du vieillard philosophe, Voltaire rédigea pour lui, le 16 mai 1778 (14 jours avant son décès), les vers suivants :

L'Atteignant chanta les belles ;
Il trouva peu de cruelles,
Car il sut plaire comme elles :
Aujourd'hui, plus généreux
Il fait des chansons nouvelles
Pour un vieillard malheureux.

Voici ce qu'en dit Bésuchet aux pp. 18-9 du  Tome II de son Précis historique de l'ordre de la franc-maçonnerie :

ATTAIGNANT (l'abbé Charles-Gabriel de l'), chanoine de Reims, fut un des hommes les plus aimables et les plus spirituels, et parfois aussi les plus piquants de son siècle. Il naquit à Paris en 1697. L'abbé de Laporte recueillit et publia en 1757 les Poésies de l'abbé de l'Attaignant, 4 vol. in-12 ; il en parut un cinquième, aussi in-12, sous le titre de Chansons et Poésies fugitives, etc. Millevoye donna en 1810, en 1 vol. in-18, un Choix de Poésies de ce célèbre abbé ; choix qui fut fait avec un goût exquis. Le chanoine de Reims se réunit à Fleury pour faire jouer un petit opéra comique, intitulé le Rossignol. Il paraît que c'est là son seul essai dramatique. On dit populairement : Quand le diable devient vieux, il se fait ermite. L'abbé de l'Attaignant renonça sur ses vieux jours à la vie sensuelle, et alla mourir, le 10 janvier 1779, chez les PP. de la doctrine chrétienne. Il était franc-maçon ; et l'éditeur de la Lyre maçonnique, années 1813-1814, a recueilli deux couplets de ce frère.

Ligou, dans son Dictionnaire de la Franc-maçonnerie (PUF), ne lui attribue pas explicitement la qualité maçonnique, mais le cite (sans doute en se basant sur Bésuchet) comme ayant publié dans la Lyre maçonnique de 1813 deux poèmes maçonniques. Effectivement cet ouvrage contient (pp. 51-52), non pas deux, mais une chanson (de deux couplets, comme l'écrit Bésuchet : couplets d'Adoption à une Grande-Maîtresse qui servait à table) qu'il attribue au Frère de Lattaignant (et que la Lyre des francs-maçons reproduira en 1830, en la signant cette fois l'abbé de Lattaignant).

On a vu que Bésuchet non plus ne donne pas de détails sur son appartenance, il ne fait que se référer à des attributions largement postérieures à son décès. Et l'on sait à quel point de telles attributions a posteriori peuvent - comme c'est aussi le cas pour Condorcet - être douteuses.

Nous n'avons en tout cas encore vu aucun texte, contemporain de lui, qui atteste de l'appartenance de Lattaignant, lequel n'est d'ailleurs pas mentionné par Le Bihan dans son ouvrage Francs-maçons parisiens du Grand Orient de France.

Mais nous avons trouvé deux autres pièces de notre abbé, qui font allusion à la maçonnerie.

Parues une première fois en 1750 (pp. 29-30) dans le Tome 1 des Pièces dérobées à un ami, mais dédiées à ce moment plus discrètement à Madame de C***, ces deux pièces ont reparu en 1757 dans le Tome I (pp. 165-6) des Poesies de M. l'abbé de L'Attaignant, où la dédicataire est cette fois identifiée comme Madame de Cailly. 

Même s'il est plus probable qu'il s'agisse de poèmes que de chansons, nous avons estimé, au vu de la notoriété de leur auteur, que ces textes méritaient une place sur ce site. On les trouvera donc ci-dessous.

EPITRE XV.

 

A Madame DE CAILLY,

 

En lui envoyant des Gands de Franc-Maçons.

 

S'Il est quelque secret pour être aimé de vous,
Qui que ce soit qui me l'apprenne,
Je suis prêt de les tenter tous, 
Et n'y plaindrai ni mon tems ni ma peine ;
Voici des gands que l'Ordre Franç-Maçon 
Prétend avoir la vertu souveraine
De mettre un cœur à la raison
Et de fléchir une inhumaine.
 Essayons-en, quoique je sente bien
Que ceci n'est qu'une chimere ; 
Que Talismans & filtres n'y font rien,
Et qu'est trop sot, quiconque espere 
De réussir par semblable moyen. 
Il est bien vrai, ce n'est point un mistere,
Et ceux qui vous ont vue en sont persuadez,
Qu'il est un sur secret pour plaire ; 
Mais que l'on n'acquiert point, & que vous possedez.

Comme un autre de ce site, le texte ci-dessus fait évidemment allusion à l'usage - généralement encore en vigueur de nos jours - de remettre au nouvel initié deux paires de gants blancs, l'une destinée à son propre usage en Loge, l'autre qu'il a pour mission d'offrir à la personne qui lui soit la plus chère.

Le texte suivant (ci-dessous) apparaît par contre comme un simple marivaudage composé dans la foulée du premier, sans référence à un usage établi qui soit connu.

EPITRE XVI.

 

A LA MEME,

 

En lui envoyant le Tablier de l'Ordre.

 

E N F I N , voici ce fameux Tablier
Qui rend heureux, dit-on, tout Chevalier
De qui le reçoit sa Princesse. 
Autour de vous, vous l'allez donc lier,
Et vous riez de la faiblesse 
Des idiots qui sottement
Y croyent de l'enchantement.
Vous avez raison, ma Déesse,
C'est vous, aimable enchanteresse,
De qui je connois le pouvoir 
De tout charmer, qui lui ferez avoir
Cette vertu : sa puissance est bien sûre,
Puisqu'il va recéler & couvrir désormais
Tous les trésors de la nature,
Autant d'appas & de charmes secrets
Que de Vénus en cachoit la ceinture. 

Retour au sommaire des chansons diverses du XVIIIe:

Retour au sommaire du Chansonnier :