Les Trois Glorieuses

 Cliquez ici pour entendre le fichier midi de la partition ci-dessous, séquencé par Christophe D.

 

A l'image de Lafayette, une bonne partie de l'opinion maçonnique s'était mobilisée contre la dérive autoritariste de Charles X en 1829.

Le mécontentement croissant envers celui-ci aboutit à son renversement en 1830 lors des Journées de Juillet.

Dans leur ouvrage (Lyon, 1850) Histoire philosophique de la franc-maçonnerie, Kauffmann et Cherpin (dirigeants de la Revue maçonnique) évoquent (pp. 382 ss.) les célébrations maçonniques qui saluèrent ce changement de régime :

Le clergé n'était pas favorable à la révolution ; il appartenait à la franc-maçonnerie considérée comme corps religieux de célébrer par des fêtes funèbres les héros morts pour la défense des droits de la nation. Lyon donna l'exemple ; les autres orients le suivirent ... Telle fut cette fête que nous avons particulièrement citée parce qu'elle fut la première ; dans beaucoup d'orients, des fêtes semblables furent célébrées, et n'eurent ni moins de grandeur, ni moins de pompe.

ci-contre : la Colonne de Juillet commémore les 3 Glorieuses sur la place de la Bastille

Le tableau de Delacroix (au Louvre) La liberté guidant le peuple figure les événements du 28 juillet.

Place de la Bastille à Paris, le fût de la Colonne de Juillet (dont la première pierre fut posée en 1831 par Louis-Philippe et Don Pedro) porte les noms des victimes, avec l'inscription suivante :

À la gloire des citoyens français qui s’armèrent et combattirent pour la défense des libertés publiques dans les mémorables journées des 27, 28, 29 juillet 1830

C'est pour le 10e anniversaire des 3 Glorieuses que Berlioz composa sa Grande Symphonie Funèbre et Triomphale.

Les couplets ci-dessous nous semblent d'autant plus intéressants que ce sont les seuls jusqu'à présent que nous ayons trouvés dans le chansonnier maçonnique qui évoquent ces commémorations en Loge des Journées de Juillet.

Ils sont l'oeuvre - paroles et musique - du Frère Rossy et ont été chantés par lui le 15 septembre à Caen, soit un mois et demi seulement après les événements qui les ont inspirés.

Le texte n'a rien qui soit spécifiquement maçonnique. Cela ne l'a pas empêché d'être chanté dans une fête maçonnique caennaise en l’honneur des mémorables Journées de Juillet, et imprimé par ordre des Loges réunies (à cette fête).

La maçonnerie caennaise proclamait ainsi sa fidélité au nouveau pouvoir en place, dont l'avènement avait d'ailleurs (voir plus bas) été accueilli avec enthousiasme par la majorité des maçons.

Détails

 coq juché sur un triangle inversé contenant une oriflamme et les mentions Liberté-Ordre-Public. 

Orient de Caen
lithographie de T. Chalopin.
(Imprimé par ordre des Loges réunies).

Ils se disaient dans leur morgue hautaine,
ces vils suppôts du pouvoir absolu :
la presse est libre, ordonnons qu'on l'enchaîne
(1)
le Roi le peut dès lors qu'il l'a voulu
le Roi le peut, le Roi le peut dès lors qu'il l'a voulu.
Ne souffrons plus ces doctrines coupables
qui du monarque entravent le pouvoir ;
quant aux sujets, rendons-les misérables :
on les verra rentrer dans le devoir

Ils l'ont osé ! mais leur rage impuissante
en vains efforts a dû se consumer ;
du peuple entier la clameur imposante
pour l'avenir devait les alarmer.
Trop aveuglés, ces conseillers perfides
jusques au bout poursuivent leurs projets
avec de l'or ! des gardes homicides !
peut-on douter un moment du succès ?

L'airain tonnant à la ville alarmée
vient de donner le signal des combats.
Contre Paris en vain marche une armée
ses habitants se sont tous faits soldats ;
des étrangers, des troupes mercenaires
ont pu trompés à cet ordre obéir
(2)
mais des Français tirer contre leurs frères !
on s'y refuse ... ou bien on sait mourir !

De Marengo la brillante oriflamme
a déroulé ses plis majestueux
le peuple entier que son aspect enflamme
de l'ennemi court affronter les feux.
Comme la vague au plus fort de l'orage
frémit au loin et se brise en grondant
ainsi la foule en ces jours de carnage
sur les canons se jetait en courant.

Honte à jamais ! honte au plus grand des crimes
dans notre sang s'est baigné son drapeau.
Mais vous héros, vous illustres victimes,
avant le temps descendus au tombeau,
vos noms transmis à jamais d'âge en âge
à nos neveux apprendront vos exploits.
Ils se diront : trahis par leur courage,
ils sont tombés en défendant leurs droits.

Vils courtisans vous invoquiez la foudre
et c'est sur vous que tombent ses éclats !
Loin des débris du trône mis en poudre
un Roi déchu s'enfuit de ses états !
La France enfin de son joug affranchie
reprend ses droits sous un chef respecté.
Et maintenant notre belle patrie
marche et s'élève au cri de liberté !

(1) ce sont les ordonnances du 25 juillet qui ont mis le feu aux poudres. Le 27 juillet, les presses de certains journaux, qui avaient refusé d'appliquer la première d'entre elles suspendant la liberté de la presse, sont saisies. Les premières échauffourées auront lieu entre la police et les ouvriers typographes, craignant pour leur emploi et qui vont former le noyau dur de l’insurrection. [retour]

(2) le pouvoir fit donner la garde suisse contre les insurgés. Des régiments français se rallièrent à ces derniers. [retour]

NB : ne disposant que d'une copie à faible définition (cependant heureusement suffisante pour la lecture de la partition), nous ne pouvons garantir absolument l'exactitude de la transcription du texte.

Cette adresse du Grand Orient à tous les Maçons annonce que La Fête Nationale et Maçonnique consacrée par le Grand Orient de France à célébrer les mémorables journées de juillet 1830 et l'heureux avènement au trône du Roi-Citoyen, LOUIS-PHILIPPE Ier, a été fixée, par notre Illustrissime Grand-Maître adjoint, le Maréchal Duc de Tarente (ndlr : i. e. le maréchal Macdonald), au samedi 16 octobre. Par la voie d'une circulaire, le Grand Orient allait faire le 16 décembre un compte-rendu particulièrement enthousiaste de cette fête et du changement de régime.

Quoiqu'en principe la maçonnerie de l'époque ne s'occupât absolument pas de politique, il était de tradition et d'obligation pour elle de faire hommage au pouvoir en place. Elle le fit dans ce cas avec un enthousiasme d'autant plus sincère que, dans leur majorité, les maçons étaient d'opinions plutôt libérales et que, à l'exemple du Frère La Fayette qui jouissait parmi eux d'un énorme prestige, ils avaient peu apprécié les dérives autoritaires et cléricales (le premier ministre Polignac n'avait-il pas justifié son intransigeance par des apparitions de la Vierge dont il aurait été le bénéficiaire ? ) de la fin du règne de Charles X, règne pendant lequel le pouvoir s'était montré fort peu favorable à la maçonnerie.

De nombreux maçons avaient d'ailleurs été parmi les protagonistes - et aussi parmi les victimes, auxquelles leurs Loges allaient rendre de solennels hommages - de la révolte. Mais leur confiance dans Louis-Philippe allait bientôt à son tour décliner, si bien qu'on retrouvera à nouveau pas mal de maçons aux premiers rangs de la révolution de 1848.

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