La Félicité Bienfaisante

 

La Loge gantoise de la Félicité Bienfaisante résulte de la fusion en 1783 de deux Loges :

  • La Bienfaisante avait été créée en 1765 sous les auspices de la Grande Loge de Hollande ; ses fondateurs (dont le comte Maximilien-Richard de Trazegnies) étaient issus d'une Loge militaire. Ce n'est qu'en 1776 qu'elle adhéra, après quelques années conflictuelles, à la Grande Loge Provinciale du marquis de Gages, fondée en 1770. Le prince Charles-Joseph de Ligne en a été membre.

  • La Félicité, créée vers 1770 et dont l'histoire est beaucoup moins connue. 

Son activité s'est arrêtée en 1786 suite au décret de Joseph II.

Elle se ranima en 1803 pour être reconnue en 1804 par le Grand Orient de France et ensuite officiellement réinstallée, avec l'appui des Vrais Amis de l'Union (qui joua en l'occurrence le rôle de Loge-mère, comme on le voit à une chanson de ce site). On trouvera ici une trace de son activité en 1818.

Elle cessa de nouveau ses activités en 1822, pour les reprendre encore en 1835 (mais sans adhérer au Grand Orient de Belgique récemment créé : les loges gantoises étaient restées orangistes), et s'éteindre définitivement en 1855. 

L'ouvrage (entièrement consultable sur le web) de Guy Schrans, Vrijmetselaars te Gent in de XVIIIde eeuw, publié par Het Liberaal Archief, donne beaucoup de détails sur de nombreux membres de cette Loge. On notera par exemple Joseph Alexandre de l'Aspiur, marquis de Villalta (1738-1796), qui fut Vénérable de la Bienfaisante et de la Félicité Bienfaisante, mais aussi Maître des Cérémonies (1777) et Orateur-adjoint (1778) de la Grande Loge Provinciale. 

Le fait que ceux qui l'entouraient à la direction de la Félicité Bienfaisante fussent de modeste extraction atteste du caractère très démocratique de cette Loge, qui a amené certains historiens à écrire que le marquis de l'Aspiur semble avoir subi l'influence de l'époque et avoir été sincèrement animé de tendances égalitaires.

Une carrière maçonnique en dents de scie

Un autre personnage intéressant cité par Schrans est Clément Gabriel de BLICQUY (1744-1806), commerçant à Gand, admis en 1767 à la Félicité ; il dut avoir quelques revers de fortune, puisqu'en 1773 on le retrouve comme Frère servant à La Constante Union. Mais à la création en 1783-1784 de La Félicité Bienfaisante, il y devient Vénérable adjoint. Il sera en 1804 un des refondateurs de la Loge.

On peut consulter sur Google-livres son Tableau pour 1807.

La Félicité Bienfaisante a compté parmi ses membres les compositeurs Charles-Louis Hanssens, Platel, De Volder et Ots, ainsi que Liégeard.

Le Frère Raoul, Orateur adjoint de la Loge au moment de la Fête offerte en 1818 au Prince Frédéric, dont elle était une des organisatrices, a composé à cette occasion, outre deux chansons, un discours retraçant l'histoire de la Loge. C'est un personnage assez intéressant, et nous lui avons ci-dessous consacré un encadré.

Le Frère Raoul

Né à Poincy près de Meaux, Louis-Vincent Raoul (1770-1848) y devient professeur à la Révolution après un passage au séminaire. Enrôlé volontaire pour la défense des frontières, il passe trois ans sous les drapeaux. Il cherche ensuite une position dans l'enseignement qui lui permette de se livrer à sa passion, l'étude des auteurs anciens. 

Déçu dans ces espérances, il s'installe en Belgique en 1816 et enseigne à l'athénée de Tournai.

Il entreprend à ce moment de devenir un personnage bien en cour : il commet Le passage du prince, impromptu-vaudeville, représenté le lundi 6 octobre 1817, sur le théâtre de la ville de Tournay, devant leurs altesses royale et impériale le prince et la princesse d'Orange, fable niaise dont l'objet essentiel est de servir de prétexte à un grand nombre d'allusions, tant parlées que chantées, aux vertus et mérites dudit prince et de son épouse. Est-ce cela qui lui vaut, début 1818, un poste de professeur de littérature française à l'université de Gand ?

Est-ce par conviction ou par reconnaissance qu'il réitère l'année suivante ses témoignages de flagornerie, cette fois, comme on l'a vu, par la voie maçonnique ?

Il est en tout cas nommé recteur de l'université de Gand pour l'année 1824-5 (son discours inaugural pour 1825 est en ligne).

Il manifeste clairement son attachement à la cause orangiste par ses articles dans le Mercure belge et le Journal de Gand, et après la révolution de 1830 reste fidèle à cette cause (fidélité dont il sera félicité par la très orangiste Loge gantoise le Septentrion), ce qui lui vaudra une mise à l'écart. Il s'installe alors à Bruxelles, enseigne à l'Institut Gaggia (Pietro Gaggia, 1791-1845, avait été affilié aux AP en juillet 1839, venant de la Loge parisienne La Vérité ; en mai 1843, le GOB recommandait aux Loges l'Institut Gaggia) et obtient en 1841 un poste à la jeune Université Libre de Bruxelles.

Ses traductions de Juvénal, Perse et Horace, publiées à partir de 1811 et remises sur le métier à de nombreuses reprises jusqu'à la fin de sa vie, ont été fort estimées.

Bon nombre de ses autres publications sont accessibles sur le web.

Au Précis historique de la Société royale des Beaux-Arts et de Littérature de Gand d'Edmond De Busscher, on trouve  (p. CXII) des couplets improvisés par lui dans une circonstance cette fois profane.

On peut lire par exemple ses Observations sur l'organisation des universités du royaume des Pays-Bas, en réponse à quelques brochures contre cette organisation (1821).

Il a publié aussi en 1820 une Imitation (ndlr : traduction en juxta) des poésies de Mr. C. Vervier. 

En 1827, il a publié l'ouvrage Droits du prince sur l'enseignement public, ou Réfutation des doctrines du Catholique des Pays-Bas (publié à Gand et dont une traduction en néerlandais parut l'année suivante à Amsterdam) 

En 1837, il a publié Précis de l'histoire littéraire grecque, latine et française / extraits de différens auteurs, et mis dans un ordre nouveau.

Sa détestation du romantisme (Les classiques sont ceux qui ont fait leurs classes, et les romantiques ceux qui ne les ont pas faites) le poussa à publier en 1846 l'Anti-Hugo.

On lira avec intérêt ce qu'en écrit Jeffrey Tyssens dans son article Aspects de la sensibilité libérale dans les loges belges, paru dans l'ouvrage coordonné par Marie-Cécile Révauger, Franc-maçonnerie et politique au siècle des lumières : Europe-Amériques.

Voici également l'avis de Paul Delsemme dans son ouvrage Les écrivains francs-maçons de Belgique :

En 1816, LOUIS-VINCENT RAOUL (1770-1848), ancien élève du séminaire-collège de Meaux, quitta la France où sa carrière professorale subissait des contretemps. Il se fixa en Belgique. Promu professeur de rhétorique à l'Athénée de Tournai en 1817, il obtenait presque aussitôt ses lettres de naturalisation. Désigné en 1818 pour enseigner la littérature et l'histoire à l'Université de Gand, il déploya une intense activité littéraire, fondant pour la défense du classicisme le Mercure belge, devenu ensuite les Annales belgiques. Mais il eut le malheur d'encenser le roi Guillaume dont, très sincère d'ailleurs, il admirait les initiatives dans le domaine de l'enseignement. Privé de sa chaire après 1830, il s'établit à Bruxelles, réduit à vivre de sa plume, de quelques leçons particulières et de ses prestations à l'institut que dirigeait, avec l'appui des " Amis Philanthropes ", un éminent pédagogue italien, le Franc-Maçon Pietro Gaggia. Ses droits à la pension, pour ses services dans l'enseignement, ne furent pleinement reconnus qu'en 1844. En 1841, à l'âge de soixante et onze ans, il était nommé professeur de littérature latine à l'Université libre de Bruxelles. En 1847, il entrait — bien tardivement — à l'Académie royale. Poète sans envolée, auteur de comédies languissantes et d'une tragédie filandreuse {Guillaume le Conquérant), traducteur lénifiant des satiriques latins (Juvénal, Perse, Horace), adaptateur téméraire du poète flamand Vervier — son Frère Karel August Vervier — dont il connaissait à peine la langue, Raoul ne nous intéresse plus que par son fameux Anti-Hugo (1843) et les essais où, au nom de son ultra-classicisme, il condamnait avec véhémence les romantiques, les comparant pour leur honte à l'abbé Delille, auquel il vouait une admiration agenouillée. Curieusement, cette critique outrancière et un peu ridicule impressionne par son excès même, par la conviction inébranlable qui l'inspire. 

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