Escodeca et Jubé

Le Général Charles Jubé n'est pas à confondre avec un autre général plus connu, Auguste Jubé de la Pérelle (1765-1824). Nous avons trouvé quelques détails sur sa carrière militaire : 

Le passage à Grenoble

Au moment où nous mettions cette page en ligne, avaient lieu les célébrations du bicentenaire des Cent Jours, qui ont culminé ce 18 juin 2015 à Waterloo.

Le passage à Grenoble, auquel fut mêlé Jubé, est un moment-clé de cette aventure.

 

 

ci-contre : Grenoble - plaque de la route Napoléon par © Guillaume Piolle. Sous licence CC BY 3.0 via Wikimedia Commons

Je vous préviens que j'ai destitué le général Jubé dont j'étais mécontent, que je l'ai remplacé par le colonel Blanchard qui avait été destitué, il y a 18 mois. 

 Mais son autre titre de notoriété est d'avoir été ensuite Grand Secrétaire du Suprême Conseil. Dans le Tome II de son Histoire de la Franc-maçonnerie française (Fayard, 1974, p. 253), Pierre Chevallier signale qu'en 1832 il avait à ce titre été le protagoniste de la démolition par le Suprême Conseil de la Loge des Trois Jours (nom rappelant les Trois Glorieuses), jugée trop politique. On voit également ici (cfr p. 12) qu'il fut en 1834 la cheville ouvrière du Traité d'Union, d'Alliance et de Confédération maçonnique signé à Paris en 1834.

D'après un document de 1841 (p. 55), il était, en cette année 1841 - qui est aussi celle de sa mort -, membre honoraire de ce Suprême Conseil, tout comme d'Escodeca de Boisse. Il fait l'objet de deux poèmes (ou chansons ?) dans les carnets intitulés Temps perdu de celui-ci, dont il était manifestement un grand ami.

Ces deux oeuvres sont intitulées au Général Jubé qui m'a donné sa croix de Grand Inspecteur Général 33e degré (14 novembre 1841) et Inauguration des décors du Général Jubé dans la Loge de l'Avenir à Bordeaux (13 mars 1842). 

On peut supposer d'une part que, sachant peut-être sa fin prochaine, il a légué, peu avant son décès, son précieux bijou de 33e à son ami, et d'autre part qu'après ce décès la Loge d'Escodeca lui rendit hommage en faisant de ses décors un objet d'exposition et de vénération en tant que saintes reliques.

Voilà qui illustre bien ce fétichisme des colifichets honorifiques qui - et c'était particulièrement le cas au XIXe - se trouve si répandu dans les hauts grades, et pas seulement écossais.

Vanitas vanitatum

Dans une autre de ses oeuvres, Escodeca qualifie d'ânes chargé de reliques les porteurs de décorations du Grand Orient. Il  avait manifestement plus de considération pour celles de son Suprême Conseil.

A la fin d'un commentaire plein de générosité et de bon sens sur le conflit entre Grand Orient et Suprême Conseil, le Frère Cherpin écrit dans la Revue maçonnique de 1840, en s'adressant à ces deux Obédiences : 

Le rit écossais célèbre chaque année deux fêtes solennelles pour fournir l'occasion à ses hauts dignitaires d'étaler leurs riches cordons, leurs riches bijoux. Le rit français, plein de déférence envers ses hauts dignitaires, les invite deux fois par année à se harnacher richement pour orner ses fêtes 
... 
Quant à vos titres nobiliaires et à vos riches ornements, nous chanterons ensemble ce refrain de Béranger: « Vieux habits ! vieux galons ! »

        

                                   

Au Général Jubé

qui m'a donné sa croix de Grand Inspecteur Général 33e degré.

Je le reçois ce gage précieux
Que, dans ma main, ton amitié dépose.
Présent sacré, souvenir glorieux,
Don d'un ami, sur mon coeur je te pose !

 

Talisman vénéré, symbole pur, croix sainte,
Emblème radieux de la nouvelle loi,
Embrase-moi d'amour et rends mon âme empreinte
D'espérance et de foi !

 

Le mensonge, et l'erreur, et l'ironie amère
Répandent dans le monde un funeste poison.
Inonde mon esprit de force et de lumière,
Eclaire ma raison !

 

Fais germer en mon coeur les vertus bienfaisantes
Pour faire triompher l'austère vérité !
Rends ma parole forte et ma voix consolante
Pour la fraternité !

 

Et si je suis utile à la Maçonnerie,
En m'inspirant de toi si je fais quelque bien,
Ce sera ton ouvrage, ô frère, dont la vie
Est mon ange gardien.

 

Je le reçois ce gage précieux
Que dans mes mains ton amitié dépose.
Présent sacré, souvenir glorieux,
Don d'un ami, sur mon coeur je te pose !

 

Paris 14 novembre 1841.

 

Escodeca retrace ici - non sans probablement l'idéaliser quelque peu, notamment sur les circonstances de sa fin de carrière mentionnées plus haut - la carrrière de son ami Jubé.

                    

         

                

Inauguration des décors du Général Jubé,

dans la Loge de l'Avenir à Bordeaux.

 

 

Salut dépôt sacré, salut saintes reliques
Don d'un frère vieilli !
Nos coeurs à votre aspect, emblèmes symboliques,
D'amour ont tressailli !

 

 

On vous vit autrefois sur la noble poitrine
Du Maçon vertueux
Dont l'éloquente voix enseigna la doctrine
Qui seule rend heureux.

 

 

Ah ! venez décorer l'orient de ce temple
Sanctuaire d'amour !
Venez nous rappeler celui dont chaque exemple
Fut un rayon du jour !

 

 

Soyez, soyez pour nous la céleste lumière,
Flambeau du souvenir !
Etoile aux purs reflets, brillez dans la carrière
Où marche l'avenir !

 

 

Jamais aucun Maçon n'eut des jours plus utiles
Que le frère Jubé.
Jamais un seul instant dans les choses futiles
Ne le vit absorbé !

 

 

Aux doux travaux des camps il voua sa jeunesse
Pour défendre l'état
Il brava les périls, méprisa la mollesse,
Intrépide soldat !

 

 

Sa voix mâle et guerrière enseigna la victoire
A nos fiers bataillons,
Et son sang généreux dans les champs de la gloire
Engraissa les sillons !

 

 

Alors de l'empereur la parole inflexible
Comme un flot de la mer
Disait à ses héros : "Saluez l'invincible,
C'est une tête de fer !"

 

 

Et dans ces jours d'honneur, de gloire et de courage
Affrontant le danger,
Cette tête de fer imprima son passage
Sur le sol étranger.

 

 

Quand l'Europe liguée envahissant la France
Imposait son orgueil,
Frères, son coeur souffrit de toute la souffrance
De la patrie en deuil.

 

 

L'homme dont la pensée illuminait le monde
Venait d'être vaincu ;
Un aride rocher, affreux cercueil sur l'onde,
Portait l'aigle abattu.

 

 

Alors Jubé brisa sa formidable épée ! ...
Mais, fuyant le repos,
Du bonheur fraternel sa grande âme occupée
Dirigea nos travaux.

 

 

Et l'Ordre, en prospérant, brilla d'un nouveau lustre
par ses puissants efforts.
Frère, soyez béni ; vous qui fûtes illustre
Au milieu des plus forts !

 

 

A jamais dans nos coeurs vous avez une place
De respect et d'amour ;
Vous êtes parmi nous ; le temps n'a point de glace
Dans cet heureux séjour !

 

13 Mars 1842.

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