Les Fêtes de la paix de 1801

 

1. La paix continentale

1.1. au Grand Orient

La Paix de Lunéville du 9 février 1801 donnait l'espoir d'une paix durable entre la France et ses voisins continentaux (l'état de guerre avec l'Angleterre persisterait pour sa part jusqu'au Traité d'Amiens du 25 mars 1802).

Après une décennie de guerres incessantes, cet événement fut accueilli avec soulagement et enthousiasme et contribua à encore accroître la popularité de Bonaparte.

Partout en France, la population fut invitée à le célébrer avec faste.

Le Grand Orient répondit volontiers à cet appel en organisant avec un grand lustre, le 20 Germinal an IX (10 avril 1801), une fête de la paix continentale.

Le document (dont couverture ci-contre) Planches, discours et cantiques, à l'Occasion de la Célébration de la fête de la paix, qui a eu lieu au Grand Orient de France... le 20 germinal an 9 fut envoyé à toutes les Loges. 

Il a été rendu disponible par la BNF sur Gallica.

Outre le Tracé de la Tenue et les discours des Frères Doisy (Grand Orateur), Angebault (Président de la Chambre symbolique) et Milly (Président de la Chambre des Grades), on y trouve :

  • (pp. 35-40) un extrait du programme du Concert

  • (pp. 41-3) un cantique de Rizaucourt (chanté par Laforêt)

  • (pp. 44-5) des couplets de Le Pitre

  • (pp. 46-7) un cantique d'un membre de la Réunion des Etrangers.

Mais il est mentionné qu'au Banquet on entendit également chanter notamment Bertin, Chotin, Gaillard de la Ferrière et Henry (membre du Conservatoire), ainsi que de Fondeviolle (pour la Santé du Grand Vénérable Montaleau).

 

L'irrésistible ascension ...

Après la Terreur, le Grand Orient avait pu reprendre progressivement une activité normale. Conforté depuis le concordat de 1799 dans son rôle (qui lui serait bientôt contesté) de détenteur unique du label maçonnique dans le pays, il s'appliqua à retrouver le prestige et l'audience qu'il avait connus au XVIIIe siècle.

Pour ainsi rappeler l'Ordre à son ancienne gloire, quelle meilleur façon que d'organiser, en le faisant savoir au public, des manifestations brillantes et prestigieuses, marquées par des actes de bienfaisance et des protestations d'attachement aux pouvoirs en place, en sorte de s'en faire bien voir ?

On voit donc poindre ici les débuts de la napoléonolâtrie qui sera bientôt institutionnalisée dans la maçonnerie française par la mise en place d'hommes de confiance à ses postes-clés. 

En témoigne cet extrait (p. 8) du Tracé :

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La première santé qui a été tirée a été celle du Gouvernement Français, à laquelle on a joint celle des Consuls de la République, et en particulier, celle du Héros, à la bravoure et au génie duquel la France est redevable de la paix ; elle a été commandée par le Grand Vénérable, célébrée avec le feu le plus patriotique, et accompagnée d'une harmonie qui a caractérisé les élans du sentiment qui anime les Français. 

Le T. 1 du Miroir de la Vérité fait également écho à cette manifestation : il reproduit le premier (pp. 204-9) et le deuxième (pp. 211-3) de ces 4 textes (le 4e sera reproduit indépendamment dans le T. 2), encadrés des commentaires suivants :

(pp. 201-2) :

FÊTES POUR LA PAIX.

Parmi les différentes fêtes qui ont eu lieu ici, pour le retour de la Paix, l'ordre maçonnique distinguera, avec le plus grand plaisir, celle proposée par le Digne et Respectable Frère Roëttiers-de-Montaleau, Grand Maître de la Maçonnerie française, à tous les Vénérables et membres des Loges régulières de Paris.

L'acte de bienfaisance qui en est résulté (Cet acte de bienfaisance sera en faveur d'orphelins de Maçons, dont le Grand Orient se chargera de l'apprentissage et de l'entretien, jusqu'à ce que ces enfans puissent être en état de pourvoir eux-mêmes à leur subsistance), fera connaître l'âme douce et sensible qui caractérise le vrai Maçon ; il apprendra au profane vulgaire que l'esprit qui anime chaque membre de cette vertueuse association, est un esprit d'humanité et de bienfaisance ; que l'égalité qui forme la base de cet ordre, aussi antique que respectable, porte les Maçons à regarder tous les hommes comme leur frères, à s'attendrir sur les maux qu'ils souffrent, à leur donner les secours que la commisération réclame, et que c'est dans l'exercice de ces devoirs sacrés qu'ils font consister le plaisir qui les rassemble ..... C'est ainsi que les Enfans de la Veuve illustreront l'ordre, le rappeleront à son ancienne gloire, et feront envier le bonheur de leur constante union aux profanes qu'une aveugle prévention éloigne encore de leurs Atteliers.

Ce n'est point dans le tumulte du monde que l'on peut parfaitement juger les hommes. Les sociétés varient sur ce vaste théâtre, autant que les évènemens. Chaque être, entraîné par son intérêt particulier, y apporte ses idées, ses démarches, et nul ne s'occupe à jetter un oeil curieux, spéculatif et appliqué dans le coeur des autres hommes. C'est dans les sociétés particulières et permanentes que l'on voit l'homme, tel qu'il est, sous toutes ses faces. Les évènemens s'y succèdent ; mais ce sont les mêmes hommes qui les causent, qui les voient naître, et qui les jugent ; l'avantage de celle dont nous avons la faveur d'être membre, est, que l'origine de l'ordre qui y est établi, se perd dans la nuit des tems, et qu'il se maintiendra au delà de la postérité la plus reculée. 

(pp. 209-11) :

Cette réunion fraternelle, composée de plus de 400 membres, tant des Loges de Paris que des visiteurs de différens départemens, a présenté l'ensemble de l'harmonie la plus parfaite et de la cordialité la plus franche.

Le Respectable Frère de Montaleau, qui réunit aux qualités du coeur celles de l'esprit, a fait briller les travaux de l'éclat le plus vif. Les Très Chers Frères Angebault, président de la chambre Symbolique ; Milly, de celle des Grades, et Doisy, Grand orateur, ont prononcé des discours frappés au coin de l'éloquence la plus mâle, dignes de leurs rares talens et de la majesté de cette fête mémorable.

Les bornes que nous prescrit cette feuille, et différens autres travaux relatifs à une semblable fête que plusieurs Loges nous ont fait passer pour être placés dans cet ouvrage, nous privent du plaisir que nous aurions goûté à en présenter l'analyse.

A chacun de ces discours a succédé la plus belle harmonie, exécutée par les plus grands artistes de la France.

Le local ne permettant pas la réunion de tous les membres en une seule table, on a été contraint d'en composer deux.

Des symphonies des plus bruyantes étaient le prélude des santés d'usage qu'on y a célébré, et elles étaient couronnées de la mélodie la plus belle.

1.2. dans les Loges

Le Grand Orient avait encouragé ses Loges à organiser elles aussi de telles manifestations. Nous avons des traces de certaines réponses à ce voeu :

2. La paix générale

Quelques mois plus tard, une fête de la paix générale (c'est-à-dire s'étendant, non seulement au continent, mais aussi à l'Angleterre) célébrait les préliminaires, conclus le 1er octobre, de la Paix d'Amiens (qui allait être signée le 25 mars 1802 mais qui ne durerait que jusqu'au 18 mai 1803).

Nous en avons trouvé des échos :

quand la petite histoire maçonnique illustre la Grande Histoire ...

Rivaux !

Ces diverses fêtes constituent une des premières manifestations du culte de la personnalité qui sera bientôt institutionnalisé vis-à-vis de Bonaparte. Dans la plupart des interventions, il est le seul dont le nom soit mentionné et à qui soit attribué l'exploit d'avoir forcé la paix. 

C'est ainsi qu'au Banquet du 10 avril au Grand Orient, Le Grand Vénérable Roettiers de Montaleau a commandé la première santé qui a été celle du Gouvernement Français, à laquelle on a joint celle des Consuls de la République, et, en particulier, du Héros, à la bravoure et au génie duquel la France est redevable de la paix.

A Douai le même jour, il n'est également question que de Bonaparte.

Certains intervenants par contre (comme Rizaucourt) partagent l'éloge entre lui et le général Moreau (dont il est souligné qu'il s'agit d'un Frère). Aux Arts Réunis de Dijon, la décoration du Temple porte l'inscription : A la Paix, à Buonaparte, à Moreau. A la Parfaite Union de Montauban, si Bonaparte est particulièrement mis à l'honneur par la décoration et dans les discours, la première Santé (il y en aura 13 en tout !) est pour la République, la deuxième pour Bonaparte, la 3e au Gouvernement et la 4e à Moreau ; celle-ci est même accompagnée (voir ci-contre) du 4e couplet du cantique précité de Rizaucourt.

Un intervenant (le Chevalier) va même (dans la seconde version de son cantique, la première ne citant aucun nom) jusqu'à ne citer que le seul Moreau.


         

A l'époque, les tensions entre Bonaparte, dont les tendances autocratiques étaient déjà dénoncées par certains, et Moreau, républicain intransigeant, étaient déjà bien réelles, et attisées par une certaine jalousie sur le plan de la gloire militaire (c'est la victoire de Hohenlinden remportée par Moreau le 2 décembre 1800 qui avait été décisive dans l'obtention de la paix). 

Moreau, rival de Bonaparte dans les coeurs des Français, l'était sans doute encore plus dans les coeurs des maçons, puisqu'il était, lui, et de longue date, connu comme Frère (il avait été initié le 13 août 1789 dans la Loge de la Parfaite Union de Rennes).

Il n'est donc pas interdit de supposer que les différences de traitement entre les deux rivaux, que nous avons relevées dans les hommages maçonniques leur rendus à l'occasion des Fêtes de la Paix de 1801, constituent un symptôme de ces tensions.

Beaucoup plus habile que Moreau à manipuler l'opinion à son profit, et placé dans une position qui lui facilitait cet exercice, Bonaparte partait évidemment avec plusieurs longueurs d'avance dans ce duel ...

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