Cantique dit de Robespierre

 Cliquez ici (midi) ou ici (MP3)  pour entendre cet air, séquencé par B. A.

Nous avons trouvé ce cantique (pp. 285-7) dans les Procès-verbaux de la Société archéologique d'Eure-et-Loir. Lors de la séance du 6 juin 1889, le président de cette société, M. Merlet, donna lecture d'une notice où il disait avoir trouvé dans les papiers de M. de Pâris le document ci-dessous :

Cantique composé, écrit et prononcé par Robespierre, dans un banquet de la Loge Maçonnique de Hesdin en Artois en 1782. M. de Paris faisait partie de ce banquet, où il remplissait les fonctions de secrétaire et fut aussi un des orateurs. Le manuscrit lui fut remis par Robespierre, pour être inséré dans les registres et archives de la Loge Maçonnique.

CANTIQUE MAÇONNIQUE

Air du Tonnelier.

1

Frères, vous exigez de moi 
Des vers sur la maçonnerie ; 
Votre volonté fait ma loi. 
Intention sert de génie ; 
Mais, novice en l'art des maçons, 
Daigner m'aider de vos leçons. 
Compassons, réglons et dégrossissons 
L'ouvrage auquel nous travaillons.

2

Toujours le vulgaire jaloux 
Ignore et fronde tout emblème : 
Le mystère établi chez nous 
Nous expose à son anathème ; 
Mais s'il eût connu nos plaisirs 
Et nos devoirs et nos désirs, 
Caton lui-même eût dit à l'unisson : 
J'aime et j'honore un franc-maçon.

3

Par le compas l'homme est instruit
A toujours mesurer l'espace 
Et le cercle qui rétrécit 
Le temps qui ne fait point de grâce. 
La règle est à nos actions 
Ce qu'est le soleil aux saisons : 
Travailler, dégrossir un moellon 
C'est polir les moeurs à son ton.

4

Fidèle à Dieu, fidèle au Roi. 
A sa patrie, à sa bergère, 
Loyal au jeu, ferme au tournoi, 
Plein d'indulgence pour son frère, 
Tendre ami de l'humanité,
Esclave de la vérité,
C'est à ces traits que nous connaissons 
Les véritables francs-maçons.

5

Le sexe nous croit peu galans ; 
Exclu de nos cérémonies,
Il en censure les instants,
Et nos repas sont des orgies ... 
Vous savez si nous oublions
Les beautés que nous adorons :
Au point du jour ne promettons-nous pas 
De rendre hommage à leurs appas ?

6

La main qu'à tourner le fuseau
Destina la sage nature
Ne peut soutenir le marteau
Ni travailler la pierre dure.
Un héros, vaincu par l'amour,
Lui donna la massue un jour ; 
Le foible enfant ne put la soulever : 
Alcide eut-il dû la céder ?

7

Un sage, exempt de passion, 
Se rapprochant de la nature, 
Prouva jadis que la raison
Fournit à la volupté pure ;
Sans orgueil il fut vertueux,
Sans foiblesse il sçut être heureux :
Ne concluez-vous pas de ma chanson
Qu'Epicure étoit franc-maçon ?

8

On peut, si l'on veut, sobrement 
N'imiter pas ce qu'on admire ; 
Il est quelquefois si charmant 
D'un peu s'oublier, et d'en rire. 
Bacchus, oubliant sa leçon, 
Demande une libation : 
Au Vénérable adressons la santé. 
Feu partout, et de la gayté !

Le texte rassemble bon nombre des thèmes classiques du chansonnier maçonnique du XVIIIe : allusion au profane vulgaire (couplet 2), symbolisme des outils (couplet 3), principes moraux (couplet 4), exclusion des femmes (5 et 6), épicurisme (7), conclusion (8) en forme de santé du Vénérable.

L'antépénultième couplet fait référence à la légende d'Hercule (Alcide) et Omphale, échangeant fuseau et massue comme les ont représentés de nombreux artistes.

                   

Sur le verbe compasser (couplet 1 : Compassons, réglons et dégrossissons l'ouvrage auquel nous travaillons), voir ici.

Il ne fait guère de doute à nos yeux - et la métrique le confirme - que l'air dit du Tonnelier soit l'air Travaillez, travaillez bon Tonnelier visible ici.

Cette attribution à Robespierre - dont sauf erreur on n'a de toute manière trouvé aucune preuve de l'appartenance maçonnique, même si son père est mentionné par Bord comme membre de la Constance à Arras - a été reprise en 1907 et aussitôt contestée.

Cette contestation est totalement justifiée : la chanson est certainement bien antérieure à l'attribution faite ci-dessus en 1782, qui doit donc être considérée comme fantaisiste.

Nous avons en effet découvert le même texte (pp. 364-7) en février 1779 dans le Volume 89 de la Gazette littéraire de l'Europe sous le titre Chanson maçonnique par le R. F. (sans doute Respectable Frère) D. L.

Il faut cependant noter quelques différences dans cette version, principalement :

On trouve encore une autre version de ce texte en 1782 dans les Essais historiques et topographiques sur l'église cathédrale de Strasbourg de l'abbé Grandidier (1752-1787). Cet ouvrage se termine curieusement (pp. 415-430) par une Esquisse du travail d'un profane au Respectable Frère Marquis de S(triponctuation maçonnique), Vénérable de la loge de la (triponctuation maçonnique), à l'Orient de (triponctuation maçonnique) & Académicien des Arcades de Rome. Ce travail, qui malgré son titre se présente sous une forme très maçonnique, est une histoire de la maçonnerie en France et particulièrement à Strasbourg, dont il considère la cathédrale comme un nouveau temple de Salomon ... dont les colonnes sont fondées sur la sagesse, la force et la beauté. Il développe le contenu de l'intéressante Lettre de M. Grandidier à Madame la Présidente d'Ormoy sur l'origine des Francs-Maçons, datée de Strasbourg le 27 novembre 1778, qui figure précisément (pp. 354-364) dans le volume mentionné ci-dessus de la Gazette littéraire de l'Europe, juste avant le texte de la chanson.

Cette version-ci de la chanson, (intégrée à l'Esquisse, pp. 420 et 429-30), mentionnant également l'air un tonnelier vieux et jaloux, est un peu différente (notamment parce qu'elle est censée émaner d'un profane) et moins complète : les couplets 2 et 3 sont inversés, les couplets 5 et 6 sont supprimés et les couplets 7 et 8 refondus en un seul formé des 4 premiers vers du 7 et des 4 derniers du 8. Il y a, comme on le voit ci-dessous, d'autres modifications. 

              


                            

texte en 1782 de Grandidier (comme ci-contre à gauche)

(1)

Frère, vous exigez de moi 
L'histoire d'la maçonnerie ; 
Votre volonté fait ma loi. 
Intention sert de génie ; 
Mais,
profane en l'art des maçons, 
Daignez m'aider de vos leçons. 
 Avec moi, réglez et compassez 
L'ouvrage auquel vous présidez

(3)

Par le compas l'homme est instruit
A toujours mesurer l'espace 
Et le cercle, que
rétrécit 
Le temps qui ne fait point de grâce. 
La règle est à nos actions 
Ce qu'est le soleil aux saisons : 
Travailler, dégrossir un moellon 
C'est polir ses moeurs &
son ton.

(2)

Toujours le vulgaire jaloux 
Ignore et fronde tout emblème : 
Le mystère établi chez
vous 
Vous expose à son anathème ; 
Mais s'il eût connu nos
plaisirs 
Et nos devoirs et nos désirs
Tous alors s'écrieront à l'unisson : 
J'aime et j'honore un franc-maçon.

(4)

Fidèle à Dieu, fidèle au Roi. 
A sa patrie, à sa bergère, 
Loyal au jeu, ferme au tournoi, 
Plein d'indulgence pour son frère, 
Tendre ami de l'humanité,
Esclave de la vérité,
C'est à ces traits que nous
reconnaîtrons 
Les véritables francs-maçons.

(7/8)

Un sage, exempt de passion, 
Se rapprochant de la nature, 
Prouva jadis que la raison
Sourit à la volupté pure ;
Bacchus,
appuyant la leçon, 
Demande une libation : 
Au Vénérable adressons la santé. 
Feu partout, et de la gayté !

extraits correspondants du texte de 1779

(1)

Frères, vous exigez de moi 
Des vers sur la Maçonnerie ; 
Votre volonté fait ma loi. 
Intention sert de génie : 
Mais novice en l'art des Maçons, 
Daignez m'aider de vos leçons. 
Compassons, réglons et dégrossissons 
L'ouvrage auquel nous présidons.

(3)

Par le compas l'homme est instruit
A toujours mesurer l'espace 
Et le cercle que rétrécit 
Le temps qui ne fait point de grâce :
La règle est à nos actions 
Ce que le soleil est aux saisons : 
Travailler à dégrossir un moellon 
C'est polir ses moeurs & son ton.

(2)

Toujours le vulgaire jaloux 
Ignore et fronde tout emblème : 
Le mystère établi chez nous 
Nous expose à son anathème : 
Mais s'il eût connu nos désirs,  
Et nos devoirs et nos plaisirs,
Caton lui-même eût dit, à l'unisson : 
J'aime et j'honore un Franc-Maçon.

(4)

Fidèle à Dieu, fidèle au Roi. 
A sa Patrie, à sa Bergère, 
Loyal au jeu, ferme au tournoi, 
Plein d'indulgence pour son frère, 
Tendre ami de l'humanité,
Esclave de la vérité,
C'est à ces traits que nous reconnaissons 
Les véritables francs-maçons.

(7/8)

Un sage, exempt de passion, 
Se rapprochant de la nature, 
Prouva jadis que la raison
Sourit à la volupté pure ;
Bacchus, appuyant la leçon, 
Demande une libation : 
Au Vénérable adressons la santé. 
Feu partout, et de la gaieté !

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