Le rituel funèbre le Déluge de François Giroust

En cliquant ici, vous entendrez les premières mesures du Déluge, dans l'enregistrement de Roger Cotte

 

La première page de la partition du Déluge

Le Rituel funèbre maçonnique sous-titré le Déluge a été écrit en 1784 par Giroust, sur un texte de Nogaret, pour une cérémonie solennelle de la Loge.

C'est Roger Cotte qui a exhumé cette partition à l'occasion de la Tenue funèbre solennelle organisée le 20 juin 1970 par la Grande Loge de France pour le 25e anniversaire de la libération des camps de déportés.

On en trouvera le texte ci-dessous, accompagné (encadrés) de  quelques extraits de l'analyse donnée, dans la jaquette du CD, par Roger Cotte, qui a dirigé cette exécution.

Il est accompagné de quelques citations sonores du disque. Celles-ci sont signalées au fur et à mesure par le symbole    sur lequel il vous suffit de cliquer (fichiers .wav - NB : La première écoute des fichiers wav, si vous ne disposez pas d'une liaison rapide, sera hachée, mais la seconde écoute sera normale).

L'interprétation est de Roger Cotte dirigeant les Musiciens de Paris, les Chantres de la Tradition et le Groupement rituel d'instruments à vent, avec René Terrasson, basse, Schuyler Hamilton, ténor, Pierre Gianotti, ténor, et André Lacombe, récitant.

L'introduction de Roger Cotte.

Le texte, qui suit sans modification notable le cérémonial habituel des « tenues de deuil », fut mis en vers, accompagné de très précieuses notices rituelliques, par le poète Félix Nogaret (1740-1830), bibliothécaire de la Comtesse d'Artois et Vénérable du « Patriotisme ». On peut, certes, facilement railler cette poésie d'intellectuel érudit, parfois redondante, parfois marquée d'heureuses réminiscences ; elle n'en est pas moins un intéressant spécimen de la mode littéraire préromantique française.

La partition (…) est la seule, de toute l'histoire de la musique et de toute l'histoire de la Franc-Maçonnerie, à illustrer une cérémonie maçonnique intégrale (ndlr : cette affirmation est inexacte, comme en témoigne le rituel funèbre de Léopold Ier, que Cotte ne connaissait manifestement pas).

La partition de Giroust réunit, outre les trois chanteurs solistes (deux ténors et une basse) un chœur à trois voix d'hommes (il s'agit de travaux d'une Loge traditionnelle, où les femmes ne sont pas admises), le groupe habituel d'instruments à vent des « colonnes d'harmonie » (deux clarinettes, deux cors, deux bassons), un timbalier, et enfin des cordes dont le rôle symbolique est en principe nul. On notera tout de même l'importance accordée au cours du quatrième morceau au violoncelle solo dont le compositeur a parfaitement utilisé les qualités d’expression «romantique».

Notes

 

CANTATE FUNÈBRE
et
CÉRÉMONIES ANALOGUES
adoptées en 5786,

Pour honorer uniformément dans les Ateliers du régime de la Resp. M. L. Écossaise du Contrat-Social à l'Orient de Paris, la mémoire des FF. décédés.

    Par le F. Félix Nogaret,

Ancien membre de l'Académie des Sciences et Beaux-Arts de Marseille, Ex. V. de la R.L. du Patriotisme, à l'O. de Versailles.

(ndlr : 1. Tout en étant membre du Grand Orient de France en tant que Loge bleue, la Loge versaillaise Le Patriotisme avait opté pour le régime écossais, dont la Mère-Loge était la célèbre Loge parisienne Saint-Jean d'Ecosse du Contrat Social
2. Dans un ouvrage dont il est l'auteur, L'Isle des Sages ou Le Sceptre donné par les Grâces, Nogaret se désigne en 1785 comme Polémarque de la Loge du Patriotisme à l'Orient de la Cour).

CANTATE FUNÈBRE

PRÉLUDE

Le premier morceau doit être précédé de la brève ouverture rituelle des travaux, au cours de laquelle la « Colonne d'Harmonie » n'intervient pas, sauf peut-être pour une marche solennelle accompagnant l'entrée dans le Temple de dignitaires ou d'invités de marque. L'orchestre (vous avez entendu cet extrait 1 en entrant sur cette page -    pour le réentendre) répète d'emblée, sur un roulement de timbales, la batterie ternaire du maillet du Vénérable marquant la reprise du travail initiatique de la Loge, puis il enchaîne sur une évocation symphonique de caractère terrifiant et chaotique comme on peut en trouver dans bien des compositions d'inspiration maçonnique (début de l'ouverture de La Flûte enchantée, du Quatuor des dissonances, chez Mozart, ouverture de Zoroastre, de Rameau, le prélude de La Création de J. Haydn, etc.).

... Elle est suivie d'un grand monologue du « Choryphée » (basse chantante). Il reprend explicitement la description apocalyptique confiée d'abord à l'orchestre, puis termine (extrait 2) sur une phrase chargée d'espoir, d'apaisement :  Dieu paraît ... devant lui les cieux sont ouverts.

Il a pour motif l'effroi résultant de l'idée de la destruction totale des êtres.

UN CORYPHEE.

Ciel ! de quel bruit retentissent les airs ?
Quel vent impétueux ! quels rapides éclairs ! 
La foudre gronde, elle étincelle :
Un son fatal a troublé l'univers.
Mon oeil se lève à la voûte éternelle :
( extrait 2)   Dieu paraît... devant lui les cieux se sont ouverts.  

Le second morceau exprime l'angoisse de l'Homme brusquement confronté avec la majesté du Grand Architecte de l'Univers. Après un nouveau monologue du Choryphée, l'orchestre reprend  (extrait 3) la batterie ternaire d'ouverture mais celle-ci prend ici une valeur symbolique plus profonde. Elle marque l'heure du jugement. Suit un long silence que commente à voix nue le soliste, puis le chœur (représentant l'ensemble des Francs-Maçons de l'Univers), conduit par un ténor solo, exhale l'inquiétude du monde terrestre devant l'au-delà. 

Les tems sont arrivés. O jour épouvantable ! 
Terre, voici ton juge ! il s'avance... il descend ! 
De l'airain le bruit formidable
T'annonce ton dernier moment !
(  extrait 3)    L'heure a sonné... sur ce globe coupable,
Tout se tait... quel silence, image du néant !

CHŒUR

Voici le jour de tes vengeances, 
Dieu terrible ! ...ah ! de tes enfans 
Daigne combler les espérances.

Devant les feux étincelans
Du fer qu'irritent nos offenses,
Les justes mêmes sont tremblans ! ... 
Daigne combler nos espérances, 
Appelle à toi tes vrais enfans.

Le troisième morceau débute par une page symphonique de caractère paisible et rêveur (solo de basson)  (extrait 4). Le Choryphée, censé s'être évanoui après avoir contemplé la Face de l'Etre Suprême, s'éveille et découvre dans le décor de désolation que prévoit le rituel le cénotaphe du Frère décédé. Le Chœur répond en exprimant sa confiance dans la justice divine. Deux personnages (ténors) poursuivent la description de la désolation du Temple  (extrait 5) et le chœur, enfin, se joint à eux pour pleurer  (extrait 6) la mort du Frère. 

La colonne d'harmonie marque alors un assez long arrêt durant lequel le Vénérable descend de sa chaire pour aller donner à l'urne censée contenir les cendres du Disparu le mot sacré  (texte parlé - extrait 7) que les Frères doivent faire circuler rituellement au cours de la cérémonie de clôture des Travaux maçonniques. Il témoigne ainsi de sa certitude en l'immortalité de l'âme.

LE CORYPHEE revenant comme d'un songe.

(   extrait 4)  (Symphonie douce)

Quel calme ! je respire ; et je sors de l'abîme
Où la frayeur m'avait plongé.

(Situation douloureuse)

Mais qu'aperçois-je ? Une victime !
Et c'est mon frère ! ...hélas ! Dieu s'est vengé. 
Que dis-je ? O doute affreux de mon cœur affligé ! 
Appela-t-il un juste ? A-t-il puni le crime ? 
Comment en un tombeau ce Temple est-il changé !

CHŒUR

De la Toute-Puissance 
Respectons les décrets.
Tout est pesé dans sa juste balance : 
Respectons ses arrêts,
Évitons sa vengeance.

DUO

Le deuil règne dans le Temple. Musique analogue. Images du regret et de l'étonnement.

PREMIER PERSONNAGE

(   extrait 5)   Qu'est devenu ce Temple magnifique,
Où l'or et les rubis brillaient de toutes parts ?

SECOND PERSONNAGE

Où suis-je ? Où donc est-il ce superbe portique ?

ENSEMBLE

Ces colonnes d'azur qui flattaient nos regards,
Et tous les ornemens de ce palais antique, 
La mort les a voilés de ses noirs étendards.

CHŒUR

O douleur ! ô tristesse !
Pleurons l'ami de la sagesse :
il vivait parmi nous ;
La mort l'a frappé de ses coups :
Pleurons tous.

O douleur ! ô tristesse !
La mort dans son courroux,
Enlève à l'amitié, ravit à la tendresse,
Un disciple de la sagesse.

Il vivait parmi nous.
La mort l'a frappé de ses coups :
(   extrait 6) Pleurons tous ;
Pleurons sans cesse.

Ici l'orateur se lève, et prononce l'Oraison funèbre du F. décédé, ou un Coryphée chante, si l'Eloge est en vers.
    L'Eloge terminé la cérémonie continue.

LE V.

Fidèle à l'amitié, dont il connut le prix, 
Par-delà le tombeau qu'il en goûte les charmes ! 
Portons-lui le tribut de nos cœurs attendris.

(Pause.) Le V. descend du trône et s'avance vers l'Urne. Il est suivi en silence par les FF. qui bordent l'Orient à droite et à gauche du trône. Les Orateurs d'un côté, de l'autre le Secrétaire, marchent derrière les Visiteurs, et sont suivis des deux colonnes.

Arrivé devant l'Urne, le V. reprend :

De fleurs, de baisers et de larmes 
Couvrons ces précieux débris,

(Pause) Le V. reprend :

(   extrait 7)   Donnons un dernier mot à cette auguste cendre.

    Il le donne et reprend :

Ami, tu n'es point mort ; ton âme est dans les cieux ...
Ce mot sacré, tu dois l'entendre !

(Pause) Le V. se range pour faire place aux Visiteurs et autres FF. Il monte les degrés du trône, et s'y tient debout, en dehors, faisant face à l'Urne.

- Alors chacun s'avance.

Au cours du quatrième morceau, exclusivement symphonique, tous les Frères de la Loge vont à leur tour et en silence, donner le mot sacré et le baiser fraternel à l'urne, puis jeter des fleurs sur le cénotaphe. Le Vénérable commande alors de former la Chaîne d'Union (texte parlé - extrait 8); tous les Frères unissent leurs mains, sauf le Vénérable et le premier Surveillant qui, debout de part et d'autre de l'urne, y posent une main et donnent l'autre au Frère le plus près d'eux. Le Frère disparu est donc considéré comme demeuré dans la chaîne fraternelle maçonnique.

SYMPHONIE RELIGIEUSE, EXÉCUTÉE PAR DES INSTRUMENTS VOILES.

Chacun donne, par ordre et en silence, le mot à l'Urne, à l'imitation du V.; savoir : un F. du côté du Midi, un autre F. du côté du Nord, et ainsi alternativement, jusqu'à ce que tous les FF. (à l'exception de la musique qui reste en place) aient donné le mot et le baiser fraternel, et qu'ils aient de même jeté des fleurs sur le tombeau.

Les Visiteurs reprennent leur place. Le F .Orateur et le F. Secrétaire se rendent à la leur, en remontant par l'Orient, ainsi de suite.

Le premier S. seul, au lieu de retourner à la tête de sa Colonne, monte les marches du trône, et se tient debout à côté du V. dans la même position que lui.

CHAÎNE D'UNION

Le V. et le premier S., restés debout pendant cette cérémonie, à une égale distance de l'Urne, s'en approchent y posent une main, et donnent l'autre au F. le plus près d'eux.

Alors les instruments se taisent.

LE V.

(  extrait 8Autour de lui formons encore ces nœuds,
Symboles du lien le plus pur, le plus tendre.

Le cinquième morceau (trio et chœur) accompagne ce rite; la chaîne ne doit se désunir que lorsque la musique est achevée. La cérémonie se poursuit alors par le rituel traditionnel de fermeture des travaux, au cours duquel - tout comme pour l'ouverture - la musique n'intervient pas, sauf, éventuellement, pour l'exécution d'une marche solennelle. 

CHŒUR

Pendant lequel les FF... entretiennent la chaîne, qui ne doit se désunir qu'au moment où cesse le Chœur qui les représente.

Ombre chère à nos cœurs, puisses-tu nous entendre ! 
Puisses-tu, dans ces lieux,
Invisible témoin de nos soins douloureux,
Jouir des pleurs que tu nous fais répandre ;
Agréer nos soupirs et nos derniers adieux !

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