Willem Pijper

 Cliquez ici pour entendre le début de son deuxième adagio

Willem Pijper (1894-1947) est le plus important compositeur néerlandais du XXe siècle. Outre deux opéras, il est l'auteur de musiques symphoniques, concertantes, de chambre et vocales.

Il fut initié en 1938 à la Loge De drie Kolommen (Les trois Colonnes) à l'Orient de Rotterdam, où il devint Compagnon en 1940 et, après l'interruption des activités maçonniques pendant la guerre, Maître en 1946.

1911  1935  1941 

Ses 6 Adagios ont été composés spécialement, en 1940, pour la Cérémonie d'Initiation et sont construits sur le ternaire. Ils n'ont été révélés au grand public qu'après sa mort, à un moment où leur inspiration maçonnique n'était pas encore connue. On s'est alors étonné que leur style soit aussi différent de celui de ses autres oeuvres. Un critique musical posa même ingénument la question : dans quel but, pour quelle cérémonie liturgique cette musique peut-elle avoir été écrite?

Ces 6 adagios, interprétés par le Rotterdams Philharmonisch Orkest sous la direction de Roelof van Driesten et enregistrés en 1986,  figurent sur un CD édité par Donemus à Amsterdam.

  ci-dessous : le manuscrit du début du 6e Adagio. (cliquez ici pour une image plus grande mais plus lourde : 283 ko). 


 

Un article de Pijper :

 Musique en temps de guerre

Willem Pijper était également chroniqueur musical dans le journal De Groene Amsterdammer. Le 15 juin 1940, quatre semaines après la perte - à cause du bombardement de Rotterdam qui avait détruit sa maison - de toutes les possessions matérielles qui lui étaient chères, il y publiait l'article suivant, témoignant de sa foi inconditionnelle en l'intangibilité de l'Art.

En temps de guerre, le musicien est, à quelques exceptions près, un être déraciné et tourmenté. Un être dont les rêves et les attentes sont détruits par la réalité aride, un être sans espoirs et dont les projets ont perdu leur sens. Le musicien, pourvu de courage personnel ou non, est un homme de paix. Ses occupations se situent au niveau de l'esprit et en temps de guerre l'accès à ce niveau supérieur est barré par nombre d'exigences primaires : celles de la préservation de la vie, celles de la faim, de la soif et de la fatigue. En temps de guerre le métier d'artiste ne donne aucun privilège : en face de la mort tous les points de distinction disparaissent.

C'est à sa vocation que l'artiste emprunte quelque chose que le non-artiste ne possède pas dans la même mesure : la foi en la certitude de valeurs supérieures car supra-temporelles. La musique écrite et imprimée peut se perdre, des instruments peuvent être détruits, des organisations et des corporations peuvent disparaître. Mais l'univers des sons reste impassible sous la violence de la guerre. 

Cela n'a aucune importance que la musique, pendant un certain temps, ne se situe pas au centre de l'intérêt public : aussi longtemps qu'il y a des artistes, dont l'art est issu de leur vocation et qui n'ont pas cherché accès aux domaines de Caecilia par intérêt personnel, propre profit, vanité ou aveuglement, aussi longtemps qu'il y ait donc encore des musiciens pour qui la musique est sacrée, il n'y a pas lieu de craindre un mal irréparable.

La musique reste elle-même, en temps de guerre ou en temps de paix, aux moments de prospérité ou de malchance morales, physiques ou économiques. Il n'est même pas audacieux d'estimer que des temps comme nous en vivons actuellement, puissent être utiles pour le développement de l'art musical. Aussi utiles que les tempêtes ou la gelée nocturne pour la récolte. Beaucoup de branches et de fruits faibles seront arrachés, mais ce qui reste mûrit mieux. L'intérêt pour les expressions artistiques inférieures diminuera sans aucun doute, le besoin de créations à valeur éternelle se manifestera plus clairement qu'au cours des dernières années. A mon avis nous, Hollandais, nous acquerrons plus facilement la foi en, et l'amour de, notre propre musique nouvelle en des temps comme ceux-ci. En théorie l'amateur de concerts hollandais est convaincu du fait qu'une musique hollandaise existe ; il se peut que, en dehors de cette conviction, la pratique lui donne aussi la foi en et l'amour de son propre art.

Chronos pose les plus hautes exigences à la musique en temps de guerre. On n'aura plus tendance à appeler musique ce qui était simple divertissement ou bricolage déraisonnable. Or les forces constructives et régénératrices de la véritable musique peuvent, dès maintenant, se rendre indispensables. En ce qui me concerne, je suis convaincu qu'elles prouveront leur nécessité.

Rotterdam, le 11 juin 1940.
(traduction : F. V. C.)

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