Frère Galfâtre

Je sais qu'on raille dans le monde 
Nos mystères et nos hochets ; 
Soit, mais que le malheur réponde, 
Il vous dira que nos secrets, 
Avant tout ce sont des bienfaits. 
Sans rougir on dit sa misère, 
Sans orgueil on est libéral ; 
On ne donne qu'à son égal, 
On ne reçoit que de son frère ! 

Bayard 

Frère Galfâtre est une comédie-vaudeville en deux actes créée au Théâtre du Palais-Royal à Paris en 1844, due à Jean-François Bayard (1796-1853) - dont on n'a aucun témoignage d'appartenance maçonnique - et Xavier Boniface Saintine (1798-1865) - dont l'appartenance est par contre attestée. Le texte ci-dessus en est extrait.

Dans son très intéressant ouvrage (avec préface de Pierre Mollier) Les francs-maçons au théâtre : de la Révolution à la Belle Epoque (Véga, 2011), François Cavaignac consacre quelques pages à cette pièce (ainsi qu'à ses auteurs), et donne notamment (pp. 112-4) un écho de l'accueil (favorable) qui lui a été fait à l'époque par la critique, et notamment par Théophile Gautier. 

Voici comment (pp. 75-6) il en résume l'intrigue :

Saintine

Acte I : Ramplein, franc-maçon qui se prépare à accéder au grade de rose-croix, veut marier sa fille Céline à un Parisien, Beauvilain. Or, celle-ci ne veut épouser qu'un franc-maçon. Beauvilain, qui a compris que Ramplein est franc-maçon, a peur des épreuves d'admission. Rose, la domestique, se fait passer pour Céline, que Beauvilain n'a encore jamais vue, et obtient de lui la promesse qu'il se fera franc-maçon. La famille et les employés de Ramplein décident de tout faire pour empêcher Beauvilain d'être reçu en loge en lui faisant une farce qui consistera à simuler les épreuves de la réception. 

Acte II : Beauvilain, malgré sa peur et les descriptions terrifiantes qui lui sont faites, croit qu'il va être reçu franc-maçon ; il subit contre son gré plusieurs simulacres d'épreuves et finit par écrire dans le testament philosophique qu’il aime une autre femme. Le quiproquo est complet : il pense être admis franc-maçon alors que Ramplein l'attend en loge pour procéder à sa réception. Beauvilain comprend alors qu'il a été berné et entre dans une grande colère, frappant les uns et les autres. Ramplein perçoit que Beauvilain a été l'objet d'une plaisanterie et réussit à réconcilier tout le monde. 

Le thème est donc celui, assez classique (il fait déjà l'objet au XVIIIe de Arlequin franc-maçon), du simulacre de cérémonie de réception organisé pour se payer la tête de quelqu'un. Le scénario en est ici assez imaginatif et croustillant, si l'on en croit les quelques détails donnés par François Cavaignac (pp. 97-100). A noter que dans cette bouffonnerie, le premier grade est celui de Galfâtre, ce qui explique le titre de la pièce.

Galfâtre

Selon le dictionnaire Reverso, le mot galfâtre (ou galfatre) signifie paresseux, propre à rien et selon le Dictionnaire d'argot classique 1827-1907 de Boutler, Glouton, Goulu ; selon un autre dictionnaire d'argot, Artiste sans talent, mauvais écrivain, imbécile, mauvais ouvrier.

Galfâtre proviendrait de galefretier qui selon Littré est un Terme vieilli qui signifie homme de rien, homme sans feu ni lieu.

Cependant, Coupeau n’avait pas le sou. Sans chercher à crâner, il entendait agir en homme propre. Il emprunta cinquante francs à son patron. Là-dessus, il acheta d’abord l’alliance, une alliance d’or de douze francs, que Lorilleux lui procura en fabrique pour neuf francs. Il se commanda ensuite une redingote, un pantalon et un gilet, chez un tailleur de la rue Myrrha, auquel il donna seulement un acompte de vingt-cinq francs ; ses souliers vernis et son bolivar pouvaient encore marcher. Quand il eut mis de côté les dix francs du pique-nique, son écot et celui de Gervaise, les enfants devant passer par-dessus le marché, il lui resta tout juste six francs, le prix d’une messe à l’autel des pauvres. Certes, il n’aimait pas les corbeaux, ça lui crevait le cœur de porter ses six francs à ces galfatres-là, qui n’en avaient pas besoin pour se tenir le gosier frais. Mais un mariage sans messe, on avait beau dire, ce n’était pas un mariage. Il alla lui-même à l’église marchander ; et, pendant une heure, il s’attrapa avec un vieux petit prêtre, en soutane sale, voleur comme une fruitière. Il avait envie de lui ficher des calottes. Puis, par blague, il lui demanda s’il ne trouverait pas, dans sa boutique, une messe d’occasion, point trop détériorée, et dont un couple bon enfant ferait encore son beurre. Le vieux petit prêtre, tout en grognant que Dieu n’aurait aucun plaisir à bénir son union, finit par lui laisser sa messe à cinq francs. C’était toujours vingt sous d’économie. Il lui restait vingt sous.

(Zola, l'Assommoir)

Nous n'avons pas eu l'occasion de lire la pièce, mais avons trouvé dans les Francs-Maçons au Théâtre de Lantoine le couplet reproduit plus haut, qui en est extrait.

Il se chante sur l'air de L'écu de six francs (cette pièce de Sewrin date de 1809) ; cet air est donné par la Clé du Caveau sous le n° 968. Une partition complète avec accompagnement en est visible aux pages 248 à 250 d'un document de l'Université de l'Ohio.

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