Chanson Fendrique

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Charbonnerie vs. carbonarisme

Dans le premier appendice, intitulé NOTICE SUR LES FENDEURS-CHARBONNIERS, à son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes, Bègue-Clavel nous donne des indications sur l'histoire de la charbonnerie.

Il commence par rappeler son histoire au XVIIIe siècle, en mentionnant sa parenté avec la maçonnerie :

Nous avons dit ailleurs que la société des fendeurs avait été instituée à Paris vers 1743 par le chevalier Beauchaine, qui en avait modelé les formes sur celles des compagnons du devoir charbonniers répandus dans les Alpes, le Jura, la Forêt-Noire, et qu'on rencontre en plus grand nombre dans les bois voisins de Dole, de Gray, de Besançon et de Moulins. Loin de renier cette obscure origine, le fondateur la revendiquait avec orgueil pour la fenderie; seulement il s'attachait à l'ennoblir en l'entourant de circonstances dont la vérité n'est pas, à beaucoup près, démontrée. Suivant lui, l'association était née dans les forêts du Bourbonnais ; c'était un devoir des bûcherons du pays, auquel avaient été affiliés des proscrits de haut rang pendant les guerres civiles qui avaient désolé les règnes de Charles VI et de Charles VII. L'obligation commune à tous les membres consistait à se secourir et à se protéger réciproquement. Ce qu'il y a de positif, c'est que les bons cousins habitants des forêts, dont les fendeurs avaient emprunté les formes et les symboles, admettaient dans leur association des hommes de toutes les classes de la société, nobles, prêtres et bourgeois.

La fenderie du chevalier de Beauchaine jouit d'une très grande vogue à Paris, et vit se confondre dans ses rangs et la cour et la ville, qui s'y livraient aux plaisirs de la bonne chère et aux éclats d'une grosse gaité. Nous avons sous les yeux un diplôme de fendeur, expédié en blanc sous la date du 6 juillet de l'an de la vérité 1781. L'encadrement en est formé de deux arbres qui se réunissent par la cime et d'un terrain au milieu duquel se trouve une sorte d'étang dont les eaux sont alimentées par une source qui s'échappe d'un rocher. Au pied des arbres et à la jonction de leurs cimes, sont groupés de diverses façons des scies, des haches, des maillets, de grosses vrilles et d'autres instruments de bûcherons et de charpentiers. Un fusil et une carnassière sont accrochés à l'un des arbres, près duquel est un chien en arrêt. Sur le sol, gisent pêle-mêle quatre cruches, des écuelles, des pipes, une scie, un chevalet. La rédaction du diplôme n'est pas moins singulière, on y lit: « Du grand chantier-général séant et assemblé dans le centre des forêts du roi, sous les auspices de la nature. Bonne vie, bonne vie à tous les pères-maîtres, officiers et bons cousins, bons compagnons fendeurs ! Nous, pères-maîtres et officiers des chantiers de France, soussignés, certifions et attestons que l'avantage ayant été favorable à N*, il a été reçu en qualité de bon cousin et bon compagnon fendeur dans le chantier du Globe et de la Gloire avec toutes les formalités requises et nécessaires  ; pourquoi nous prions tous les bons cousins employés dans nos ateliers de le reconnaître, admettre et traiter très favorablement et humainement, de lui procurer de la besogne, l'hospitalilé et bonne conduite, après qu'il se sera fait connaître par les principaux signes et mystères de notre ordre illustre  ; ce que nous exerçons et faisons envers tous les bons cousins et bons cousins fendeurs qui viennent nous voir des chantiers et forêts éloignés. En foi de quoi, nous avons baillé et délivré le présent certificat audit cousin N*, signé de nous, contre signé par notre garde-vente-général, et scellé du grand marteau général des forêts royales, en cire rouge, pour lui servir au besoin. » Au bas sont les signatures : Douves, Darmancourt, Cambon, Naudin, Josse de Saint-Kilien, Paulmier, Descloseaux, etc. Les formes de réception de la fenderie différaient peu de celles du devoir des charbonniers, que nous avons décrite page 362. On y avait mêlé des épreuves bouffonnes et quelques pratiques empruntées de la franc-maçonnerie.

Bègue-Clavel explique alors qu'une confusion eut lieu au XIXe entre cette Société et le carbonarisme français importé d'Italie avec des buts politiques :

La société ne resta pas confinée à Paris; elle se propagea dans toutes les provinces de la France et particulièrement dans l'Artois, où elle s'est conservée jusqu'à l'époque de la restauration. Elle cessa ses assemblées lorsque le carbonarisme français, dont le cérémonial, réimporté d'Italie, était à peu près le même que le sien, eût été violemment attaqué par le procureur-général Bellart, dans l'affaire des quatre sergents de la Rochelle. Un fendeur, M. Cauchard d'Hermilly, confondant la nouvelle société secrète avec celle dont il faisait partie, entreprit de prouver qu'elle n'était pas coupable des méfaits qu'on lui attribuait, et qu'elle était tout à fait étrangère à la politique et ne prétendait qu'à dépenser joyeusement le temps. A cet effet, il rendit compte de sa réception parmi les fendeurs charbonniers de l'Artois, qui l'avaient admis, en 1813, dans leur réunion en plein air, laquelle avait lieu tous les ans au milieu des bois, et où chaque membre, revêtu de la blouse et des attributs de fendeur, n'avait d'autre souci que de rire, de chanter, de manger et de boire. Il dit que, dans cette sage société, on faisait des fagots, il est vrai ; mais que ce n'étaient pas des fagots politiques ; qu'on n'y était pas ennemi de la tranquillité des empires ni du repos des hommes, bien qu'on y tirât des coups de fusil... à poudre ; enfin qu'on y livrait les néophytes aux griffes d'un ours, selon toute apparence altéré de sang humain ; mais que cet ours, d'une nature toute bénigne, ne tardait pas à devenir leur meilleur ami. Les banquets, du reste, n'avaient rien de somptueux ; il était de devoir rigoureux de manger de la bouillie, du lard et de la soupe aux choux. M. d'Hermilly faisait surtout remarquer qu'aucune société secrète n'était moins dangereuse que celle des fendeurs, qui réunissait dans ses assemblées fraternelles tout ce que la province possédait de gens d'esprit et de bons vivants, y compris les gentilshommes, qui, lorsqu'il s'agit de se divertir, ne sont pas toujours ennemis d'une égalité momentanée [NDLR : ces mots d'égalité momentanée sont très significatifs : de même, dans la maçonnerie du XVIIIe, l'égalité n'est reconnue qu'à l'intérieur de la Loge, mais elle cesse d'être prise en compte une fois qu'on en est sorti].

Quelque spirituel et piquant que fût ce factum, il ne pouvait détruire la réalité des faits révélés par les débats de l'affaire de la Rochelle. Tout ce qu'il était permis d'en conclure, c'est qu'il existait deux sociétés, dérivant d'une source commune, employant les mêmes symboles, et dont l'une cependant se proposait le renversement de l'ordre de choses établi, et l'autre n'avait en vue qu'un agréable passe-temps. Les fendeurs n'étaient pas en cause ; néanmoins ils éprouvèrent le contre-coup de l'atteinte portée à la charbonnerie politique. Soit prudence, soit crainte, soit indifférence, ils ont cessé depuis lors de se réunir ; et la fenderie est aujourd'hui complètement éteinte.

L'ouvrage de G. F. Cauchard-d'Hermilly auquel Clavel fait allusion s'appelle Des carbonari et des fendeurs charbonniers et il date de 1822.

C'est effectivement un témoignage à décharge pour la société des Fendeurs à laquelle l'auteur, alors qu'il était déjà maçon, a été agrégé et qu'il désigne comme un grade intermédiaire entre celui de Maître et celui de Maître parfait.

Il raconte, avec force détails pittoresques, la cérémonie de réception lors de laquelle il fut intronisé.

Et il explique l'origine de l'Ordre, telle qu'elle lui fut contée dans son discours d'accueil :

Salomon voulant élever un temple à l'Eternel, envoya des ambassadeurs à Hyram, roi de Tyr, à l'effet d'en obtenir la permission de couper, sur le mont Lyban, autant de cèdres et de cyprès que sa construction exigerait, lui offrant en échange de l'or ou des marchandises.

... La tradition désigne tous ces ouvriers sous le nom général de Fendeurs. Ils étaient de diverses nations et religions ; et, pour éviter que la différence de mœurs et d'opinions ne fit naître entre eux la discorde, le R. M. Adoniram n'employa que ceux qu'il jugea dignes de participer à de si nobles travaux ; il leur fit contracter des engagemens qui avaient pour but l'union, la fidélité, la paix, et leur donna, pour se reconnaître, des signes, des attouchemens et des mots.

Les principes généraux de leur conduite étaient tirés de la loi naturelle fais à autrui ce que tu voudrais qu'on te fît, principes qui s'accordent avec toutes les religions.

Et, comme pour confirmer le caractère bon-enfant qui ressort de son livre, il le termine par un ensemble de Rondes, boutades, chansons et chansonnettes, dont l'épigraphe Honni soit qui mal y pense apparaît, au vu de certaines pages, comme particulièrement nécessaire.

Si nous avons déjà proposé ici un cantique des Fendeurs quelque peu leste, celui-ci par exemple (qui figure à la p. 42) l'est en effet ... encore un peu plus.

Cauchard d'Hermilly est également l'auteur de paroles pour des chansons de la Loge de l'Union de Famille, dont celle-ci, et de la nouvelle (1829) Petit voyage de trois rats de cave à Cherbourg, ou Un tour de rouanne . D'après le fichier Bossu, il aurait été membre de la Loge L'Accord Parfait à Saint-Malo ou Saint-Lô ; nous connaissons des Loges portant ce titre distinctif seulement à Brest (Loge militaire de la Marine) et à Rochefort. 

L'air du Vaudeville de la fille en loterie est, comme indiqué, donné par le n° 830 de la Clé du Caveau.

 le coin et l'encoignure.

 

CHANSON FENDRIQUE

 

Air du Vaudeville de la fille en loterie. (N°. 830, clé du Caveau.)

Des cousins, de notre métier
J'ai trouvé l'origine antique ;
Adam de tous, fut le premier,
Il eut un coin ; c'est sans réplique.
De cet instrument quel besoin ?
Demandait-il à la nature :
Il sût bientôt placer son coin
Eve lui montra l'encoignure.

Mais depuis Adam maint fendeur ,
Surtout aux forêts d'Italie,
Du métier compromit l'honneur,
Ou par erreur, ou par manie ;
Se croyant par fois sans témoin
Contre le bon sens, la nature,
On les vit ajuster leur coin 
Tout à côté de l'encoignure.

Ramenons ces cousins Félons
Aux lois simples du cousinage ;
Inspirons-leur par nos leçons,
Le goût du véritable ouvrage ,
Et répétons-leur avec soin
Cette vérité la plus pure :
Quand le Père créa le coin
Il lui destina l'encoignure.

                                                  Par le Cousin R...

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