Les hymnes de l'Ordre de la Céleste Culture

 

Antoine Fabre d'Olivet (1767-1825) fut polygraphe, philologue, occitaniste, théosophe, hébraïste, musicologue, librettiste, compositeur, thaumaturge (il prétendait guérir les sourds-muets), pythagoricien, journaliste, occultiste, théosophe, égyptianisant, poète, philosophe, hypnotiseur, magnétiseur, arithmosophe ... mais sans doute jamais maçon (il n'y a en tout cas pas la moindre preuve dans ce sens), même s'il avait de la maçonnerie une connaissance livresque grâce à laquelle il ambitionna de la réformer.

 

Notre source pour la présente page est l'ouvrage (republié en 2006 par l'Arbre d'Or) Antoine Fabre d'Olivet - La Vraie Maçonnerie et la Céleste Culture - textes originaux annotés par Léon Cellier, ouvrage qui a été présenté et partiellement reproduit dans le n° 2, datant de 1997, de la revue La Chaîne d'Union, aux pp. 34-41.

Fabre d'Olivet y décrit, sous le titre La Vraie Maçonnerie et la Céleste Culture, les rituels qu'il a établis pour l'Ordre (qui est mixte) de la Céleste Culture, dont il veut faire une ritualisation des doctrines pythagoriciennes (dont il a exprimé sa compréhension dans les commentaires qui accompagnent sa traduction des vers dorés de Pythagore).

Elle comprend les trois grades (correspondant selon lui aux trois premiers grades de la Maçonnerie Adonhiramite de Guillemain de Saint-Victor) d'Aspirant, de Laboureur et de Cultivateur. Leur programme est triple : se purifier, s’instruire et se perfectionner.

Les adeptes se réunissaient dans un Champ sous la direction d'un Vénérable Cultivateur assisté d'un Frère Semeur, d'un Conservateur des rites, d'un Secrétaire du portique et d'un Frère Sarcleur qui, armé d'un glaive flamboyant, gardait l'entrée. Deux colonnes reproduisant celles érigées dans le temple de Tyr en l’honneur de Choum le Créateur étaient présentes, Jachin (signifiant le ministre divin manifesté) et Bohoz (représentant le mouvement du principe principiant matériel). Elles portaient deux lampes sur lesquelles figuraient en transparent les images de la lune et du soleil.

Les travaux sont ouverts à l'heure propice et clôturés à l'heure déterminée (au 2e grade, c'est respectivement à l'heure du chant du coq et à l'heure où la chauve-souris a paru ; au 3e, à l'heure de la mort et quand la vie a commencé). 

Comme on le voit, la parenté avec la maçonnerie, d'ailleurs avouée par le titre, est évidente, mais ce n'est qu'une parenté de forme, cependant poussée jusqu'aux détails dans le remplcement du travail de la pierre par le travail aux champs (cfr par exemple le vocabulaire spécifique du banquet : la bouteille n’est plus le baril, mais l’arrosoir ; le couteau, la fourchette et la cuiller, non pas le glaive, la pince et la truelle mais le soc de charrue, le râteau et la bêche).

Chacun des trois rituels contient un hymne de circonstance.

 

Aspirant

Au premier grade (dont le rituel se célèbre quarante jours après le solstice d’hiver, soit à la Chandeleur), le récipiendaire, qui est dans les ténèbres, espère trouver un guide. Ce à quoi le Vénérable Cultivateur répond :

Prie du fond de ton coeur l'Etre des êtres, le Dieu des mondes, et sa Providence protectrice t'en donnera un. Je vais évoquer pour toi la vérité qui préside à nos mystères ; joins ta voix à la mienne.

Et l'on entonne effectivement à ce moment l'invocation suivante, composée dans les modes solaire et lunaire appelés lydien et locrien par les Grecs (comme l'écrit Adélaïde de Place dans cet article, Fabre d'Olivet ... avait cru pouvoir remettre en vogue la musique grecque et notamment retrouver à travers un mode dit «hellénique» une mélodie capable de toucher et subjuguer les sens, de recréer la vie et le mouvement musical ; Cellier écrit pour sa part - cfr p. 32 - que sa grande ambition fut d’introduire dans la musique moderne, à côté des modes majeur et mineur, un troisième mode connu des anciens et qu’il appelle mode hellénique).

Invocation à la Vérité

Entends ma voix, descends des cieux,
Descends, ô Vérité chérie,
Viens ; de l’erreur perce le voile affreux,
Et du jour pur émané de tes feux
Pénètre mon âme attendrie.

D’un cœur brûlant de ton amour.
Écoute l’unique demande.
De tes bienfaits rends le digne en ce jour 
Et qu’il te serve tour à tour
De temple, d’autel et d'offrande !

Dans les sentíers obscurs où s'égarent mes pas
Fais briller ta sainte lumière ;
Montre-moi les écueils que je n'aperçois pas
Et guide-moi dans ma carrière.
Des folles passions modère les combats ;
Et si tu peux exaucer ma prière,
Fais qu'aux seules vertus, je trouve assez d’appas
Pour remplir ma vie entière.

Après cela, le Frère Semeur enlève le bandeau du récipiendaire et le purifie par l'eau.

Nous n'avons aucune indication sur la partition, mais il n'est pas interdit de penser qu'elle pourrait être la même que celle de l'Hymne (lui aussi en mode hellénique) «Entends nos voix, descends des cieux» qui constitue la 12e partie de l'oratorio pour le sacre de Napoléon composé en 1804 (texte et musique) par Fabre d'Olivet, et dont les premiers vers sont très semblables par le texte et la métrique :

Entends nos voix, descends des cieux,
Descends, Divinité suprême !
Viens protéger ce Héros glorieux ;

 

Laboureur 

Au 2e grade, dont le but est le travail intérieur et la connaissance de soi-même, on passe du champ ténébreux au Champ de lumière après s'être purifié par le feu.

On trouve dans son rituel (qui est célébré quarante jours après l’équinoxe du printemps, à l’époque des fêtes de Cérès appelés vulgairement les Rogations et la Fête-Dieu) l'hymne suivant :

LE PRINTEMPS

(Hymne sacré des Cultivateurs Célestes)

Le doux printemps ranimant la nature
Fait de la terre un magnifique autel
Où, respirant une allégresse pure,
Tout ce qui vit célèbre l’Éternel.
La moindre fleur qui pare la verdure
Ajoute un mot à l’hymne universel.

Du haut des cieux une flamme nouvelle,
Ferment d’amour se répand dans les airs,
Et du sommeil d’une mère immortelle
Vient éveiller mille germes divers :
Tout obéit à la voix qui l’appelle,
Tout reconnaît le Dieu de l’univers.

Vous qui peuplez et fécondez les mondes,
Soleils sans nombre, ouvrages de ses mains,
Terres et vous, dans vos grottes profondes,
Mers qui suivez ses ordres souverains,
Faites parler et vos feux et vos ondes
Et de sa gloire instruisez les humains.

L’homme lui seul, libre dans son hommage,
De cet accord ose rompre les lois.
Lui du Très-Haut le plus parfait ouvrage,
Il ose seul méconnaître sa voix.
O Vérité ! dissipe le nuage.
Ramène l’homme aux pieds du Roi des Rois.

Que le printemps ranimant la nature
Ranime aussi sa faible volonté.
Que le parfum qui couvre la verdure
De ses vertus peigne la pureté,
Et que les fruits de sa double culture
Soient le bonheur et l’immortalité.

 

Cultivateur

Mourir pour renaître comme le grain de blé est le thème du rituel du 3e grade (qui se célèbre le 40e jour après l'équinoxe d'automne, soit avec les fêtes funéraires appelées vulgairement les Morts), où le Temps et la Mort conduisent le récipiendaire au tombeau pour lui faire entendre l'évocation du meurtre d'Osiris par Typhon et de celui d'Habel (le doux et pacifique Libérateur) par Kaïn (le Violent Centralisateur).

Après divers épisodes, le Vénérable Cultivateur s’écrie : Le décret éternel s’accomplit : Osiris ressuscitera ! et l'on chante l'Hymne à l'hiver :

Sur ce vaste hémisphère où la Nature dort,
L’hiver a déployé sa main froide et pesante ;
Et la terre à nos yeux stérile et languissante
Offre l’image de la mort.
C’est en vain que la Vie en son sein renfermée,
A ce voile mortel tenterait d’échapper ;
Du maître des saisons l’ordre l’a comprimée,
Lui seul peut la développer.

Ce soleil pâlissant, ce repos solennel,
Cette onde en ses canaux par le froid suspendue,
Cette neige des cieux en torrent descendue,
Sont des bienfaits de l’éternel.
Tandis que la Nature à ce sommeil livrée,
Semble de son amour éteindre le flambeau,
Dans la terre en secret sa flamme réparée
S’accroît pour un hymen nouveau.

Les frimas passeront ; les arbres dépouillés
Revêtiront encor leur riante parure,
Et l’onde des ruisseaux couvrira de verdure
Les gazons de fleurs émaillés.
Tel est l’ordre constant établi sur la terre :
Le printemps suit l’hiver, la nuit succède au jour,
Et des faibles humains la gloire passagère
Brille et s’efface tour à tour.

A l’empire du Temps ainsi tout obéit ;
Tout change. Dieu lui seul sur son trône immobile,
Suprême ordonnateur de ce monde fragile,
Résiste au torrent qu’il régit.
Inaccessible au temps, étranger à l’espace,
D’un empire immortel souverain absolu,
Il en exclut le vice et n’y donne de place
Qu’à l’homme ami de la vertu.

Retour au sommaire des sociétés autour de la maçonnerie :

Retour au sommaire du Chansonnier :